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VERS LES SOMMETS


O poète, combien tu l’aimes ce vieux banc
Où, dans la majesté grave du soir tombant
Et dans l’harmonieux appel qui te convie,
Tu prépares ton âme à bien finir la vie !
Qu’il te charme, ô poète obscur, cet horizon
Auquel un bois de plus mêle sa frondaison
Et qui, des cœurs blessés élégiaque emblème,
Tache d’un peu de sang le crépuscule blême !
Ah ! goûte avec la paix qui gagne doucement
Quand l’amour se résigne au fier renoncement
La contemplation lente des mêmes choses.
Bénis tes ciels voilés, la place où tu reposes,
Car souvent le regret fait qu’on découvre en soi
Des sources de tendresse et des germes de foi,
Et, plus vague que les visions où tu plonges,
Le paysage prend la forme de tes songes.
Puisque l’oubli fatal t’impose sa rançon,
Accepte du destin la hautaine leçon ;
Puisqu’en ton souvenir s’éteignent les chimères,
Baise, les yeux mouillés de larmes éphémères,
L’humble main qui bientôt les fermera. Reviens
Chaque jour, attiré par d’intimes liens,
Au vieux banc où sans peur comme sans amertume
Ta pensée à la mort pieuse s’accoutume ;
Où tes douleurs se font saintes au point qu’il n’est
En ce monde, où des deuils toute prière naît,
Nulle joie à ta pure extase comparable.
Déchiffre l’Inconnu, perds-toi dans l’Adorable,
Atteins la cime vierge où l’air est si léger
Qu’on croit aux champs subtils de l’azur voyager ;
Et que de tels rayons t’illuminent la face
Aux faîtes où le corps s’atténue et s’efface,
Où le fardeau charnel disparaît annulé,
Que ton essor en reste à jamais étoilé.