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Tu serais, m’enflammant à ta pensée ardente,
Des inspirations l’unique confidente
Et la consolatrice unique des regrets ;
Et des vers les plus purs, mère, je te ferais,
Auréolant ton front pour que la joie y naisse,
Un nimbe d’éternelle et féconde jeunesse.


EVOCATION


Lumineux jours ! Alors que, candide et petit,
Je rôdais par les bois où l’ombre se blottit,
Aux prés où pour brouter le troupeau se disperse,
Dans les champs, que parcourt le soc avant la herse,
Combien de fois, rival des chevreaux, des béliers,
Avec eux j’ai lutté dans mes bonds familiers !
Que de fois, engluant et mes doigts et ma bouche,
J’ai dérobé le miel de l’abeille farouche
Dont le toit domestique émerge du jardin !
Combien de fois, dans un pâturage, soudain
Sautant sur un poulain fougueux, d’entraves libre,
J’ai franchi les fossés sans perdre l’équilibre
Et dompté l’animal écumant ! Que de fois,
M’accrochant aux rameaux qui pliaient sous mon poids,
J’ai gravi l’arbre altier pour ravir la nichée
Qu’un pauvre oiseau croyait à tous les yeux cachée !
Hélas ! qu’est-il ce temps d’ivresses devenu ?
Où repose la douce aïeule au front chenu
Dont les vieilles chansons faites d’un vieux parlage,
Chaque soir, captivaient mon enfance volage ?
Quel vent morne, emportant l’innocence et les jeux,
Mua l’horizon clair en un ciel nuageux ?
Ah ! pour que du chemin vrai mon cœur ne dévie,
Fidèles visions, accompagnez ma vie.
Comme jadis l’enfant que la fatigue endort,
Hâtez en le berçant le sommeil de la mort,
Et, plus chères à l’heure où ma force décline,
Consolez ma tendresse à jamais orpheline.