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royale à suivre son chef aux offices du dimanche et des jours de fête.

L’assiduité à l’église n’était qu’un premier pas dans la voie des observances. Le second pas se fit le 7 mars 1685, non sans murmures de la part des courtisans. Voici le récit du marquis de Sourches : « Au commencement du carême, le Roi appela un matin le grand prévôt[1]et lui dit qu’il lui réitérait les ordres qu’il lui avait donnés les années précédentes, pour qu’il empêchât qu’on ne mangeât de la viande à la Cour ; qu’il voulait qu’ils fussent observés plus sévèrement qu’ils ne l’avaient été par le passé ; qu’il lui ordonnait de lui nommer tous ceux qui en mangeraient et en donneraient à manger à d’autres, de quelque qualité qu’ils pussent être, et qu’il lui en répondrait. Le grand prévôt lui répondit que Sa Majesté lui donnait une commission très onéreuse, et qu’elle allait lui attirer sur les bras tout ce qu’il y avait de gens à la Cour ; mais le Roi lui répliqua qu’il le voulait absolument. Et cette conversation, qui se fit au lever du Roi, en présence de la meilleure partie de la Cour, ne finit que par l’assurance que le grand prévôt donna au Roi, qu’il serait ponctuellement obéi. » On se savait déjà surveillé jour et nuit dans les escaliers et les corridors de Versailles par une police secrète qui rendait ses comptes au Roi. Il fallut se faire à l’idée d’être espionné dans sa cuisine. Ce fut amer.

Deux mois après, le Roi s’en prenait aux gros mots et aux propos égrillards en usage à sa Cour[2], puis ce fut d’autres réformes, tantôt bonnes, tantôt mauvaises, mais qui avaient ceci de commun de n’être que des apparences, des attitudes, sans effet sur les cœurs, ni sur le fond de la conduite. Madame déclarait sans ambages que la Cour devenait hypocrite ; qu’elle cachait sous ses mines dévotes plus de perfidie et de méchanceté que jamais ; que les femmes s’y perdaient de plus en plus ; et que tel jouait la piété à Versailles qui faisait l’athée à Paris. Elle disait l’ennui accablant d’un monde où « les hommes et les femmes n’osaient plus se parler ouvertement[3] » sous peine de scandale ; la grossièreté des jeunes « cavaliers » sevrés de conversations féminines ; le danger de retrancher les plaisirs honnêtes à des gens condamnés à ne rien faire : et elle se refusait à admirer la

  1. Le grand prévôt n’était autre que le marquis de Sourches lui-même.
  2. Cf. la Revue du 15 juin, p. 817.
  3. Lettre à la duchesse Sophie, du 13 février 1695.