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ceux qui y fermaient obstinément l’oreille ; si les dispositions nécessaires, qu’on ajournait de mois en mois et d’année en année, sont prises sur-le-champ ; si des ordres sont donnés et exécutés à la hâte en vue de pourvoir à l’insullisance dénoncée de nos arméniens ; si les munitions qui manquaient dans nos arsenaux commencent à y affluer, l’esprit devient perplexe et on est violemment tenté de s’écrier : felix culpa ! heureuse faute qui a fait sortir un grand bien d’un petit mal, et dont il faut se féliciter après en avoir blâmé, ou même puni l’auteur. Or, tout cela est arrivé, aussitôt que l’amiral Germinet a eu fait ses révélations à la presse. Est-ce sa faute, après tout, si la corruption de nos mœurs politiques a fait de la presse un pouvoir tout-puissant au milieu de la dégénérescence et de l’affaiblissement de tous les autres ? Voyant que les avertissemens qu’il prodiguait à ses chefs ne produisaient sur eux aucun effet, il a cherché un organe plus retentissant que le sien : ou plutôt il n’a pas eu à le chercher, car on n’a pas besoin de courir après les journalistes, ils courent après vous et on a beaucoup de peine à leur échapper. Ils sont partout, ils font tout, leur activité est sans limites, et on ne peut pas, dans plus d’un cas, leur refuser le mérite d’avoir apporté quelque remède aux défaillances de nos administrations judiciaire, militaire ou maritime. Quoi qu’il en soit, les faits sont là. Aussitôt que l’amiral a eu parlé, et qu’il l’a eu fait dans un journal, sa voix a résonné comme un clairon, et on a fait ce qu’il demandait. Il pourrait dire comme Thémistocle : « Frappe, mais écoute, » s’il aimait à faire des mots historiques.

Autre question : le silence imposé à nos officiers sur les affaires de leur métier est-il vraiment indispensable au maintien de la discipline ? Avec nos habitudes d’esprit nous sommes portés à le croire, mais on n’en juge pas toujours ainsi dans d’autres pays que le nôtre, et dans de grands pays militaires comme l’Angleterre ou l’Allemagne. Un officier peut y discuter publiquement les questions de son métier. Est un bien ? Est-ce un mal ? Nous n’oserions le dire. Il est sûr, en tout cas, que s’il y a un pays où un peu de tolérance se justifierait en pareille matière, c’est la France. Aucun officier en activité de service ne peut, en effet, faire partie de nos assemblées délibérantes, ce qui augmente dans des proportions parfois effrayantes l’incompétence de ces assemblées. Cette incompétence les conduit à la docilité. La moindre expérience de la vie parlementaire permet de constater bien souvent l’influence déterminante qu’un ministre exerce le plus souvent sur elles, et on ne peut s’empêcher