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qui pèse le vent et l’eau dans une même balance, — et pour qui le monde n’est ni petit m grand, — et dont la science prévoit tous les plans que nous formons ?

Fouillant mon cœur en quête de tout ce qui te touche, — je n’y trouve rien que l’amour et la bonne intention aimante, — sans moyens pour .aider, et impuissans à agir,

D’intelligence faible, et de vue très vague. — Et c’est pourquoi je te rends à la protection de Celui — dont ta faculté d’amour peut remplir l’amour !


Par un heureux privilège dont je n’ai rencontré l’équivalent que chez l’Allemand Novalis, Christina Rossetti avait reçu du ciel le pouvoir de comprendre et de sentir toutes choses sous la catégorie de la « poésie. » Ses lettres familières ont beau ne traiter, le plus souvent, que des sujets les plus prosaïques, — invitations acceptées ou offertes, petites nouvelles au jour le jour, bulletins de maladie ou de convalescence, — tout ce qui lui passe sous la main revêt aussitôt un caractère particulier de noble et touchante beauté. Voici, par exemple, le compliment que la jeune femme adresse à sa future belle-sœur, la fille du peintre préraphaélite Ford Madox Brown, qui vient de se fiancer avec M. William Rossetti : « Ma chère, chère Lucie, je souhaiterais d’être plus jeune d’une douzaine d’années, et plus digne en toute façon de devenir votre sœur : mais, telle que je suis, soyez bien assurée de mon affectueuse bienvenue, chère sœur et amie ! J’espère que William sera tout ce que vous pouvez désirer, ayant toujours été pour moi le plus aimant et généreux des frères. Puissent donc l’amour, la paix, et le bonheur se partager entre vous dans ce monde, et plus encore vous unir dans l’autre ! Lorsque la terre se trouve être une antichambre du ciel, — et puisse la grâce de Dieu nous la rendre telle à nous tous ! — il n’y a pas jusqu’à la terre même qui ne soit pleine de céleste beauté. »

Ces derniers mots résument, d’ailleurs, toute la philosophie de Christina et le sentiment qu’elle apporte au spectacle de l’existence. Tout en ne voyant dans ce monde terrestre qu’une « antichambre du ciel, » et précisément sous l’effet d’une telle vision, elle découvre aux choses comme un reflet divin qui les transfigure pour ses yeux de poète, et l’émeut d’une douce joie presque d’au-delà. Le commerce des enfans et celui des bêtes, surtout, sont pour elle une source infinie de tendres et pieuses délices. Quelques lettres écrites par elle aux enfans de son frère, dans le recueil nouveau, égalent ses plus belles strophes enfantines, — les plus belles qui soient