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lui était inspirée que par une pieuse illusion de son cœur aimant ; mais combien elle aurait voulu pouvoir aussi se donner, tout au moins, l’illusion d’avoir reçu de son frère des marques de sollicitude plus appropriées à l’immense amour dont elle l’entourait ! Certes, le peintre-poète se rendait compte de l’éminente valeur intellectuelle et morale de sa jeune sœur ; il savait que personne au monde ne le comprenait plus profondément, ni n’apportait plus de passion à le suivre dans sa recherche passionnée de la beauté artistique : mais, tout en ne cessant point de se tenir en contact familier avec elle, jamais il n’a essayé de pénétrer, à son tour, dans le sanctuaire de ce cœur magnifique qu’il voyait tout tremblant du désir de s’ouvrir à lui.

Peut-être a-t-il vraiment consenti à descendre de son rêve d’art pour aimer sa jeune femme, Elisabeth Siddal ; ou peut-être celle-là même, comme ses sœurs et tous ses amis, n’a-t-elle été pour lui qu’un élément de ce rêve, qui dès la jeunesse s’était entièrement emparé de lui, et ne l’a plus quitté depuis lors, plus efficace à le consumer que l’abus du chloral et du laudanum. Un artiste : c’est bien ce qu’il a toujours été, de la façon la plus complète et la plus exclusive, à la fois dans sa vie et dans son art, avec la même exaltation fiévreuse que sa sœur Maria déployait à la poursuite de la sainteté. Tout l’intérêt et toute la signification des choses, il les a concentrés dans le seul idéal d’un art souverain ; d’où viennent à son œuvre, tout ensemble, le charme singulier qui se dégage d’elle, et puis aussi ce caractère d’artifice, cette absence de naturel et de simplicité, qui l’empêchent de nous émouvoir autant qu’elle nous charme. Parmi ses camarades, — ou plutôt ses disciples, — anglais, retenus par leur bon sens invincible dans les limites d’un art plus rapproché de la vie réelle, lui seul a tranché tous les liens qui le rattachaient à cette vie, pour se réfugier dans un monde qu’il s’était créé, et où il ne nous est point possible de monter avec lui. Dans les strophes exquises qu’elle a écrites au sortir de sa trop courte excursion en Italie, Christina bénit cette terre, « pays d’amour, sœur du Paradis, » où « les visages ont une cordialité toute dépouillée d’art. » C’est parce qu’il était incapable de « dépouiller l’art, » dans ses poèmes et ses tableaux, que Dante-Gabriel Rossetti ne nous apparaît point le maître parfaitement grand et beau qu’il aurait pu devenir ; et si l’œuvre de sa jeune sœur continue, de jour en jour, à surpasser la sienne dans tous les cœurs anglais, et si la figure de Christina, toutes les fois que nous avons l’occasion de l’apercevoir, nous touche d’infiniment plus près que celle de son