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et comme, ensuite, toute son âme douloureuse s’ingénie à tirer bon augure de leurs observations ! Les maladies de Dante-Gabriel, c’est en vérité le seul drame qui se révèle à nous expressément, dans cette longue suite de lettres intimes, par-dessus vingt autres drames que nous entrevoyons, à peine indiqués. Et puis, lorsque la mort a complété son œuvre, toujours la figure du héros nous demeure présente, occupant plus de place, à elle seule, que le reste des vivans et des morts de la famille. On projette les détails du tombeau, on prépare l’édition des écrits posthumes, on ne se lasse point de documenter ou de rectifier livres et articles biographiques. Le 21 juin 1894, Christina, qui depuis longtemps a cessé de se lever et même d’écrire, écrit encore un billet à son frère William pour lui apprendre qu’elle a noté quelques erreurs dans une étude du Portfolio sur l’œuvre peinte de Gabriel ; et le 10 août suivant, déjà à demi morte, les suprêmes paroles qu’elle s’efforce à dicter sont pour rappeler à William un certain nombre de faits et de dates, en vue du grand « mémoire » où le plus jeune frère allait raconter la vie de son illustre aîné.

Ainsi l’ouvrage que vient de publier M. William Rossetti nous offre, à son tour, une foule de renseignemens divers sur la personne et l’œuvre du peintre-poète préraphaélite. Mais si ce que nous y apprenons sur l’œuvre de Dante-Gabriel Rossetti ne laisse pas de mettre mieux en relief la souplesse et la diversité de son double talent de poète et de peintre, — car nous y découvrons, notamment, à côté de plusieurs lettres débordantes de verve comique un très puissant et très vivant portrait inédit de Christina, — il faut avouer que la révélation des rapports du maître anglais avec sa famille n’est point faite pour nous donner une idée bien plaisante de son caractère. Sous les réticences affectueuses de sa sœur, nous devinons que celle-ci n’a pas obtenu, de son grand frère adoré, la réponse qu’aurait méritée l’appel d’une âme aussi merveilleusement tendre, et s’offrant toute à lui. Ou plutôt, il y a un passage d’une lettre où Christina laisse échapper ingénument l’aveu de cette froideur de son frère, qui paraît bien avoir été l’une des plus pénibles entre les nombreuses tristesses de sa vie. Le 6 octobre 1886, renvoyant à William les épreuves d’une introduction aux Œuvres complètes de Dante-Gabriel Rossetti, elle lui écrit : « A l’endroit où tu mentionnes l’affection constante, mais non-démonstrative de Gabriel pour sa famille, ne crois-tu pas qu’il serait juste d’excepter maman de la non-démonstrativité ? » Hélas ! tout porte à supposer que cette correction même ne