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aux élans enthousiastes de ses débuts dans le cloître, ou que, trois ans plus tard, Christina nous raconte les étapes bienheureuses de son agonie. Étendue sur son lit de douleur, dans sa cellule du couvent d’All Saints, la « sœur» Maria goûte un plaisir d’enfant à classer, suivant leur ordre évangélique, des photographies de vieilles peintures italiennes que lui a prêtées Dante-Gabriel. « Elle est si merveilleusement patiente et bonne que nous ne regrettons son état que pour nous-mêmes, sans qu’il nous soit possible de le regretter pour elle. » Ses souffrances, Christina et sa mère ne peuvent que les deviner, tant il y a de bonheur sur son pâle visage, et, dans ses paroles, de tranquille, sereine, rassurante gaîté. Et ainsi, l’instant de la délivrance approche, doucement. « La Révérende Mère, — écrit sa sœur, en septembre 1876, — a fait entendre aujourd’hui à notre tante Charlotte l’impossibilité de l’espoir d’une guérison ; mais elle décrit de telle sorte les sentimens de notre chérie à l’égard de la mort que, d’après elle, Maria aurait besoin d’un grand effort de résignation pour se résigner à la vie. Son unique chagrin est pour notre mère. Dès maintenant, parmi les ténèbres. Dieu a pris possession d’elle et l’embrasse de toutes parts. » Aimable fleur de foi et de sainteté, pauvre petite rose mystique qu’un coup de vent a fait germer loin du jardin familier où elle aurait dû vivre ! Fille spirituelle des Catherine de Gênes et des Angèle de Foligno, condamnée à suivre leurs voies sous le ciel brumeux de l’Angleterre protestante ! Nous la voyons étendue dans sa froide cellule, se résignant à attendre quelques jours encore la fin de son exil, tandis que ses yeux et son cœur se réchauffent au contact des saintes visions italiennes de Simone Memmi ou de l’Angelico.

Quant au héros de la famille, Dante-Gabriel Rossetti, celui-là remplit de son ombre toutes les pages du recueil nouveau. Depuis la première lettre de Christina jusqu’à la dernière, nous le trouvons installé à l’avant-plan de la pensée et des affections de sa jeune sœur ; sans compter que, derrière celle-ci, à tout moment, nous apparaissent sa mère, sa sœur, ses deux tantes, unies à elle dans un même sentiment de tendresse indulgente, orgueilleuse, et presque respectueuse pour le peintre-poète à qui déjà son père, autrefois, avait confié la lâche de soutenir l’honneur du nom familial. Qu’il s’agisse de problèmes esthétiques ou d’affaires de ménage, Dante-Gabriel est l’oracle dont les moindres paroles ont force de loi. Malade, chaque minute de ses souffrances retentit profondément et cruellement dans ces cœurs de femmes qui ne battent que pour lui. Avec quel mélange d’angoisse et d’invincible espoir Christina épie l’arrivée des médecins,