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Tel le vieux Laocoon, vaincu bien qu’il résiste,
Ne sait pas étouffer le serpent qui le mord,
Tel gémit impuissant le formidable artiste ;

Et s’il reste du moins sans honte et sans remord,
C’est qu’il a reconnu, — l’orgueilleux solitaire, —
Dans son amante en deuil le spectre de la mort.

Pourtant il crie au ciel un mal qu’il voudrait taire :
Elle est si belle encor, l’ombre vouée à Dieu,
Que, l’aimant hors du monde, il l’aime aussi sur terre.

Comme dans un caveau veille une lampe en feu,
Elle vit pour un mort, presque morte elle-même,
Rayon lointain d’étoile où vacille un adieu.

Et le géant, vaincu par la grâce suprême,
Rêve de faire encor, — lui, par Dante inspiré, —
Un portrait glorieux du fantôme qu’il aime.

Donc, le vieillard divin dit au spectre adoré :
— « Un carrare très pur deviendra votre image ;
Daignez vouloir : je vous immortaliserai. »

Comme elle refusait l’incomparable hommage,
Il soupira : — « J’honore et j’aime vos mépris.
Bien qu’aux siècles futurs ils portent grand dommage.

Soit. L’art est vain ; Dieu parle en vous, et j’ai compris :
Des choses d’ici-bas plus rien ne me tourmente ;
Je n’ai plus de révolte et n’aurai plus de cris ;

Vous êtes dans mon cœur comme une paix clémente ;
Vous portez dans vos yeux l’aube sans lendemain… »
— Vittoria mourut alors, sublime amante,

Et quand elle fut morte il lui baisa la main.