Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venu de l’exécuter. Le chevalier de Lorraine fit ce qu’il voulut de Monsieur. De Madame et de ses colères, personne n’avait cure. Restait le Duc de Chartres, qui avait juré à sa mère de ne jamais consentir. Mme de Maintenon manda en cachette l’abbé Dubois, et lui conseilla de se faire bien venir du Roi en décidant son élève : « L’abbé Dubois se trompe fort, écrivait Madame dans sa vieillesse[1], lorsqu’il pense que je crois qu’il n’a pas contribué au mariage de mon fils. Je suis persuadée que lui seul l’a fait. Il est vrai qu’au commencement il était pour moi, mais après que la vieille l’eut mandé trois ou quatre fois auprès d’elle, il changea bien vite… Monsieur était aussi mécontent de la chose que moi ; mais le Roi et sa vieille guenipe le firent menacer de chasser ses favoris ; cela le fit consentir à tout. » Dans une autre lettre : « Je sais combien de fois (l’abbé Dubois) s’est rendu la nuit chez elle, pour vendre et pour trahir son maître[2]. »

Il avait d’abord hésité[3] : « L’abbé, très perplexe, consulta le Père La Chaise, et Fénelon, précepteur du Duc de Bourgogne. Leur réponse fut que la volonté du Roi était apparente ; et que, comme souverain, il avait le droit de disposer des alliances de sa famille. » Dubois ne résista plus. Il fit peur du Roi à son élève, et la duchesse Sophie reçut ce cri de désespoir : « (10 janvier 1692.) Quoique j’aie les yeux si gros et si enflés que c’est à peine si j’y vois, pour avoir eu la sottise de pleurer toute la nuit, je ne veux pas laisser passer cet ordinaire sans dire à Votre Dilection le chagrin que j’ai eu hier, au moment où je m’y attendais le moins. Monsieur est entré chez moi à trois heures et demie, et il m’a dit : « Madame, j’ai une commission pour vous de la part du Roi, qui ne vous sera pas trop agréable, et vous devez lui rendre réponse à ce soir vous-même ; c’est que le Roi vous mande que lui, et moi, et mon fils, étant d’accord du mariage de Mlle de Blois avec mon fils, vous ne serez pas la seule qui vous y opposerez[4]. Je laisse à penser à Votre Direction quelles ont été ma consternation et ma douleur. » Elle ajoutait en termes brefs qu’elle avait vu le Roi, et que, se souvenant des recommandations de sa tante, elle s’était contenue en sa

  1. Lettre à la raugrave Louise, du 2 novembre 1717. Traduction Brunet.
  2. Du 7 novembre 1719. — Fragmens de lettres originales, II, 267.
  3. Wiesener, loc. cit., I, 243-244.
  4. Les passages en italiques sont en français dans l’original.