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posées à Reichstadt en 1876 et à Berlin en 1878 ; la Russie n’a jamais consenti explicitement à l’annexion, mais l’acte de Reichstadt peut être interprété comme impliquant quelle s’en remet à l’Autriche du sort de la Bosnie. Donc, ici, c’est moins la matérialité des faits qui a blessé le gouvernement et le peuple russe que la manière dont ils ont été réalisés.

En même temps que l’annexion de la Bosnie, la Russie apprenait que la Bulgarie proclamait son indépendance et que le prince Ferdinand prenait le titre de tsar des Bulgares. La visite du prince à François-Joseph, en Hongrie, quelques jours avant la proclamation de l’indépendance, la réception particulièrement flatteuse et distinguée faite par le vieil empereur, les honneurs royaux rendus, la cordialité des paroles échangées, étaient assez significatifs par eux-mêmes pour que le prince les interprétât comme un encouragement à ses desseins et pour qu’un accord formel ne fût pas nécessaire. L’absence probable de signatures échangées permet aux Cabinets de Vienne et de Sofia de soutenir qu’il n’y a eu, dans leur double initiative, qu’une coïncidence ; mais les faits parlent assez haut pour que le gouvernement et l’opinion russes aient conclu à une entente. Nicolas II et son peuple en ont été péniblement affectés. Il n’existait, naguère encore, dans le monde slave, qu’un seul Tsar, héritier du nom et candidat au trône des Césars de Byzance ; il y en a maintenant deux. Les vieilles annales racontent que les chefs des anciens « boulgres » se nommaient tsars et d’ailleurs, paraît-il, le mot « roi » n’existe pas dans la langue bulgare ; mais les Russes qui, en cette affaire, ne s’embarrassent ni d’histoire ni de philologie, pardonneront difficilement son titre au nouveau souverain. Il faut souhaiter cependant que la Russie oublie ses griefs, même légitimes ; elle a, pour la Bulgarie, des indulgences de mère, et les Bulgares, enfans émancipés, restent de cœur fidèles à la grande libératrice. L’entente avec Vienne n’est que la politique d’un jour ; l’intérêt de la Bulgarie est aujourd’hui du côté de la Russie, pour faire obstacle à une descente autrichienne en Macédoine.

La réouverture de la crise balkanique a scellé l’amitié nouvelle de la Russie et de l’Angleterre ; elle consoliderait, s’il en était besoin, l’alliance franco-russe ; enfin elle a rapproché, dans un geste commun de parade contre l’offensive autrichienne, la Russie et l’Italie. La Triple-Alliance se trouve donc, elle aussi,