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dire : « Il paraît qu’il y a des revendications serbes, je ne les connais pas. » Au contraire, dans les circonstances actuelles, une telle parole révèle une étrange incompréhension de la situation réelle qui résulte en Europe de l’annexion de la Bosnie et de l’Herzégovine, telle qu’elle a été accomplie. Quand on appartient à un peuple comme les Magyars, qui a tant lutté pour sauvegarder sa nationalité et qui se montre si intransigeant dès qu’elle est en cause, on est en vérité mal venu à ignorer avec une telle superbe les souffrances et les revendications des autres nationalités.

Les hommes d’Etat d’Autriche et de Hongrie se sont trompés d’heure et de procédés ; ils ont donné à leurs adversaires l’avantage de représenter un principe juste ; ils ont cru que les Slaves du Sud étaient restés la pâte amorphe qu’ils étaient au moment du Congrès de Berlin. Ils ne veulent plus être, selon le mot du prince Nicolas de Monténégro dans son drame : la Balkanskaïa, « la monnaie qui sert d’appoint dans les comptes entre grandes puissances. » Le mouvement de résurrection nationale qui a rendu la vie aux peuples slaves, les uns après les autres, et qui tend aujourd’hui à les rapprocher, par-dessus les frontières et malgré les dissidences religieuses, dans un sentiment de solidarité et de mutuelle assistance, dérive du grand courant, issu de la révolution française, qui porte aujourd’hui, jusqu’au fond de l’Asie, l’idée d’indépendance des peuples et de liberté politique. L’initiative du baron d’Æhrenthal a coïncidé précisément avec le triomphe des tendances nationalistes en Turquie et avec la renaissance, sous une forme nouvelle, des sentimens de fraternité slave. A Prague, des manifestations violentes troublent la rue ; la foule est allée briser les vitres de l’hôtel d’Æhrenthal aux cris de : « Vive la Serbie ! à bas l’Autriche ! revanche pour la Serbie ! » En Russie, l’opinion et la presse se sont émues, et ce sont elles, maintenant, qui excitent M. Isvolski à la résistance. Les Slaves ont cru voir, dans l’annexion de la Bosnie, un nouvel empiétement du germanisme sur le domaine de leur race ; le mouvement « tout slave » qui se préparait, depuis les bouches de la Neva jusqu’à celles du Vardar, explique et fortifie l’énergie de la protestation serbe.

L’erreur d’appréciation et de tactique où est tombé le baron D’Æhrenthal a non seulement mis l’Autriche en opposition avec les Serbes et avec une grande partie de l’opinion européenne,