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donné[1]. » Paroles prophétiques qui paraissent aujourd’hui avoir annoncé les troubles de Macédoine et l’annexion de la Bosnie.

Le dirons-nous ? Le fait d’avoir violé la lettre du traité de Berlin, même sans avoir préalablement consulté les puissances signataires, nous paraît moins grave que celui d’avoir tenu pour nulles les revendications et pour illusoires les droits des peuples intéressés. Le gouvernement de Vienne n’avait certainement pas prévu l’émotion qu’il a provoquée. L’Autriche-Hongrie a, parmi les Etats de l’Europe, un caractère à part ; elle fait vivre, sous le même sceptre, des peuples de langue, de race, de nationalité, de religion différentes : faire entrer dans l’Empire un million et demi de Slaves de plus, lui a paru une opération facile, simple, qui ne soulèverait pas de grosses complications et qui ne dérangerait pas l’équilibre intérieur de l’Empire ; ces Serbes renforceraient l’élément slave qui tend à prendre, à côté du dualisme austro-hongrois, une place de plus en plus importante et sur lequel le Cabinet de Vienne pourrait prendre appui si les Magyars devenaient trop exigeans. C’est sous cet angle qu’au Ballplatz on a vu la situation et, de fait, le raisonnement serait très solide si la grande majorité de la population de la Bosnie et de l’Herzégovine acceptait de bon gré l’annexion et consentait de bon cœur à vivre dans l’Empire : dans ce cas, les protestations de la Serbie et du Monténégro seraient sans fondement, car ni la parenté de race, ni la similitude de langage ne donnent à un Etat le droit de s’immiscer dans les affaires de son voisin. Avec la théorie des races, telle que l’appliquait Bismarck, — et telle que l’entendent encore les pangermanistes, — l’Autriche disparaîtrait, brisée en menus fragmens, morcelée en petits Etats indépendans ou absorbée par ses puissans voisins. La volonté des peuples importe avant tout : si l’Autriche, par un plébiscite pleinement libre, avait mis les habitans de la Bosnie et de l’Herzégovine à même de se prononcer sur leur propre sort, et s’ils avaient demandé à entrer dans l’Empire, l’Europe pourrait encore réclamer une conférence d’enregistrement pour maintenir la fiction nécessaire du respect des traités ; mais la Serbie et le Monténégro seraient mal venus à se plaindre, et c’est alors que M. Weckerlé aurait le droit de

  1. Sur cet incident très curieux, on nous permettra de renvoyer à notre ouvrage : l’Europe et l’Empire ottoman, p. 39 et 40.