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Alexandre dans sa fameuse conversation avec Talleyrand le 1er octobre 1814, à Vienne. Malgré les partis « libéraux » qui invoquent les droits des peuples, ce sont, jusqu’au milieu du XIXe siècle, « les convenances de l’Europe, » c’est-à-dire l’accord des souverains et des ministres des cinq grandes puissances ou de la majorité d’entre elles, qui décident souverainement du sort des peuples. Metternich, enfoncé dans ses principes, inspire cette harmonie des rois. La république de 1848, par la voix de Lamartine, s’adresse aux peuples ; ‘elle n’a le temps que d’alarmer les princes. Napoléon III déteste tout ce qui rappelle la Sainte-Alliance et poursuit l’abolition des traités de 1815 ; mais l’idée précise et concrète, fondement réel du concept de nationalité, que les peuples ont un droit imprescriptible à disposer d’eux-mêmes, devient, dans le cerveau chimérique de l’Empereur, un principe vague et abstrait, le « principe des nationalités, » où la notion mal définie de la « race » et de la communauté du langage vient fausser la conception démocratique du droit des peuples. Du moins Napoléon III eut-il le mérite de donner, le premier, l’exemple en faisant, pour la Savoie et Nice réunies à la France, une heureuse application du principe. Bismarck, à l’idée démocratique de la volonté des peuples, substitue l’idée historique des droits de la race que la science allemande accommode au service de la force prussienne ; ce lui est un prétexte pour arracher, par les armes, des hommes à leur patrie. La guerre de 1877 est entreprise par les Russes pour délivrer les « frères slaves » opprimés par les Turcs ; mais, avant même de la commencer, Alexandre M, à l’entrevue de Reichstadt (8 juillet 1876), sacrifie des intérêts slaves en permettant à l’Autriche d’occuper la Bosnie et l’Herzégovine. La Convention anglo-russe du 30 mai 1878 décide que le peuple bulgare sera morcelé en trois tronçons. Au Congrès de Berlin, les grandes puissances procèdent souverainement au découpage des territoires et à la répartition des âmes ; les petits Etats ne sont pas représentés au Congrès ; la Roumanie elle-même, qui avait pris une part active à la guerre et à la victoire, n’est entendue qu’à titre consultatif, par une condescendance de pure forme. A aucun moment, les droits des populations n’entrent en ligne de compte ; une commission est chargée d’étudier la valeur économique des diverses catégories d’habitans, aucune d’écouler leurs vœux ; les hommes sont échangés ou vendus comme bétail en foire par