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c’est elle qui oblige le roi Milan, que sa frivolité et ses vices faisaient son homme lige, à attaquer la Bulgarie : guerre à jamais déplorable où les armes serbes ont été humiliées, où un levain de haine a été jeté entre deux peuples frères dont l’Autriche redoute l’entente et que ses intrigues n’ont que trop réussi à séparer. Après Slivnitza, le Cabinet de Vienne se donne le rôle de sauveur ; il arrête la marche victorieuse des Bulgares et leur impose la paix ; mais il en profite pour étendre sur toute la Serbie le filet de ses intrigues. C’est le temps où l’on sait, au Ballplatz, le tarif de certaines consciences serbes ; le roi Milan signe une convention militaire qui fait de la Serbie un Etat vassal de Vienne (1882) ; dans chaque changement de ministère, dans chaque crise politique, on trouve l’Autriche ; le roi Milan n’a rien à lui refuser et le roi Alexandre n’est pas de taille à lui résister. Les patriotes serbes, réduits au désespoir, sont acculés, pour arracher leur pays aux mains des étrangers, à recourir à la violence. L’Autriche, dont la politique a été la véritable cause de la tragédie de 1903, est aujourd’hui la plus acharnée à rendre toute la nation responsable du crime de quelques hommes, pour la discréditer devant l’Europe. Des crimes moins explicables ont eu souvent, dans l’histoire, plus prompte absolution. En réalité, ce que l’Autriche ne pardonne pas aux Serbes, c’est de s’être dressés, en face d’elle, sur la route de la mer Egée, d’avoir ravivé les traditions de la race, et, lorsqu’il y a deux ans, le Cabinet de Vienne pensa les réduire à merci par la guerre économique, de lui avoir tenu tête[1].

Oui, disent les Serbes, nous avons fait une propagande nationale en Bosnie, ou plutôt est-ce bien « propagande » qu’il faudrait dire ? Nous avons cherché à établir des relations avec nos frères auxquels les Autrichiens veulent imposer les noms de Bosniaques ou d’Herzégoviniens, mais qui sont tout simplement des Serbes. Nous avions foi dans la sainteté des traités : nous regardions les deux provinces, « occupées et administrées » par l’Autriche, comme n’étant pas partie intégrante de l’Empire, et nous travaillions à préparer pour elles un avenir indépendant ; traqués par la police autrichienne, nous étions obligés de recourir à des moyens secrets ; de là, dans nos rapports avec la Bosnie, cette allure de complot ; nous aurions préféré agir au

  1. Nous avons raconté ici cette lutte : voyez la Revue du 1er février 1907.