Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/874

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont les puissances signataires du traité de Berlin qui peuvent seules lui demander compte de sa violation. La parenté de race n’a jamais été considérée comme créant des droits à un Etat sur le territoire de son voisin. Qu’est-ce d’ailleurs que l’unité de la race serbe ? Elle n’existait pas hier ! Le Monténégro et la Serbie, aujourd’hui animés d’un égal ressentiment contre l’Autriche, ne s’avisaient guère, il y a quelques mois, de leur « fraternité, » quand on jugeait, à Cettigne, ce tragique procès où le roi Pierre était accusé d’avoir voulu faire assassiner son beau-frère le prince Nicolas ; encore aujourd’hui, malgré tant de bruyantes manifestations, les prisons de Cettigne gardent un ancien président du conseil, M. Radovitch, connu comme chef du parti démocrate et serbophile au Monténégro et impliqué dans l’affaire des bombes. Il a fallu les événemens actuels pour que Serbes et Monténégrins se découvrissent frères : leur fraternité n’est faite que d’une haine commune contre l’Autriche ; le danger passé, ils retourneront à leurs querelles. Cettigne et Belgrade menacent aujourd’hui, si elles n’obtiennent pas des « compensations, » de faire la guerre à l’Autriche ; ce ne peut être qu’un « bluff » dont l’Europe ne sera pas dupe ; mais si Serbes et Monténégrins étaient assez aveuglés sur leurs forces et sur leurs intérêts pour en venir à une pareille extrémité, ils recevraient une leçon qui les rendrait sages pour de longues années.

Dernièrement, à Londres, comme M. Milovanovitch, ministre des Affaires étrangères de Serbie, disait à sir Charles Hardinge : « L’annexion est la ruine de toutes nos espérances ! — Dites : « de toutes vos illusions ! » repartit l’Anglais. Ce sont ces illusions qu’il fallait se hâter de dissiper ; l’Autriche y a coupé court en établissant en Bosnie-Herzégovine un état de droit conforme à l’état de fait qui existait depuis trente ans.

Telle est la thèse autrichienne.


II

L’énergie désespérée de la protestation serbe et monténégrine contre l’annexion de la Bosnie-Herzégovine a étonné l’Europe. Elle se souvenait que, trente ans auparavant, ses diplomates avaient, à Berlin, tranché dans la chair vive des peuples sans soulever pareil tumulte ; et voici que maintenant, pour une annexion qui pourtant n’a pas enlevé, par la force, des hommes