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s’affranchir de ses stipulations, les modifier en les rendant plus favorables pour soi et plus désavantageuses pour d’autres, déplacer ses frontières, est toujours, de la part d’un grand pays, un acte grave ; non pas que les traités aient en eux-mêmes une valeur sacro-sainte et qu’ils engagent à perpétuité ; ils ne sont, en réalité, que la notation essentiellement provisoire d’un équilibre de forces ; mais ce qui est grave, c’est précisément le fait de la modification de cet équilibre des forces.

Le baron d’Æhrenthal, pour des raisons diverses, dont quelques-unes tiennent à son caractère personnel et d’autres aux relations actuelles des Etats et des groupes d’Etats entre eux, a jugé que l’heure des réalisations était venue pour son pays. Comprenant que, dans les combinaisons européennes, l’appoint de l’Autriche-Hongrie a une valeur décisive, il en a conclu que, courtisée par tous, elle devait profiter avec audace des avantages de sa situation ; peut-être en a-t-elle abusé.

L’Autriche-Hongrie, plus que tout autre Etat, est le fondement indispensable de l’équilibre européen ; elle l’est non seulement par sa position géographique centrale et par sa situation politique, mais aussi par sa constitution interne. Seule, parmi les grandes puissances, elle n’est pas formée par une nationalité unique ou très dominante ; sous sa constitution dualiste vit un agrégat de peuples divers dont la dynastie des Habsbourg, comme la poutre maîtresse dans une charpente, maintient la cohésion. Il existe donc, dans la monarchie, un équilibre intérieur qui importe au maintien de l’équilibre extérieur ; de là encore, par l’entrée d’élémens nouveaux dans l’Empire, des conséquences d’un autre ordre.

Pour nous servir de la comparaison classique de l’échiquier, une pièce a été déplacée, la position de toutes les autres, par rapport à elle, se trouve modifiée ; les combinaisons possibles ne se présentent plus sous le même aspect. Pourquoi et comment l’Autriche-Hongrie et la Bulgarie ont bougé ; les conséquences et les répercussions de leur mouvement, c’est ce que nous voudrions essayer de dire ici.


I

Bismarck, Gortchakof et Beaconsfield ont introduit l’Autriche-Hongrie en Bosnie-Herzégovine : Bismarck par politique,