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mais « second. » L’entente avec la Russie, en 1897, pour une politique de statu quo et de « réformes » en Macédoine, est son œuvre ; au moment où la guerre de Mandchourie lui offrait des occasions d’agir, il reste fidèle à sa parole ; il s’en tient, dans les Balkans, à un système d’abstention commune dont on jugeait, avec raison, que ce n’était pas la Russie qui y gagnait. Il redoutait l’imprévu des combinaisons hasardées : « Je ne suis pas Bismarck, » disait-il parfois, et il préférait, à l’audace qui précipite les événemens, la patience qui les laisse mûrir.

Le baron d’Æhrenthal a délibérément rompu avec cette tradition ; deux fois, en moins d’un an, ses initiatives ont étonné et alarmé l’Europe. On n’a pas oublié comment, le 27 janvier dernier, le discours où il annonçait l’accord du gouvernement austro-hongrois avec la Sublime Porte, pour la construction du chemin de fer de Serajevo à Mitrovitza, pensa mettre le feu à l’Europe, rompit l’entente entre la Russie et l’Autriche-Hongrie et mit fin brusquement à l’ère du statu quo dans les Balkans[1]. Le 6 octobre dernier, nouvelle alerte, plus grave : l’empereur François-Joseph fait connaître, par des lettres adressées aux chefs d’Etats, qu’il juge nécessaire de mettre fin à une situation indécise et mal définie en étendant son pouvoir souverain sur la Bosnie et l’Herzégovine, et de renoncer, dans le sandjak de Novi-Bazar, aux droits que lui confère le traité de Berlin. On apprit en même temps que la principauté de Bulgarie, de sa propre autorité, rompait tout lien de vassalité avec la Turquie et s’érigeait en royaume indépendant. Ainsi une double initiative, ébranlant l’autorité du traité de Berlin, mettait en question les fondemens mêmes du droit public et modifiait les conditions de l’équilibre européen. Ce coup d’audace a ouvert une crise de la question d’Orient ; il est à craindre qu’on n’en ait encore vu que les premières et les moins dangereuses péripéties.

Dans l’état actuel de l’Europe, les conséquences d’un acte comme celui du baron d’Æhrenthal dépassent de beaucoup les intérêts matériels qui paraissaient d’abord être seuls en jeu. La stabilité de l’Europe résulte d’un mécanisme si compliqué de combinaisons d’Etats, d’un système de contrepoids si ingénieusement répartis, que le moindre déplacement de forces altère le caractère et compromet la solidité de l’ensemble. Dénoncer un traité,

  1. Voyez la Revue, du 1er mai 1908 et notre livre : L’Europe et l’Empire ottoman, chapitre VI (Perrin, 1 vol. in-8).