Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/857

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que j’étais honteuse de m’être emportée, que je l’expierais volontiers et qu’il ne vint pas si cela le dérangeait le moins du monde, mais que je ne l’eusse point fait si ma demande n’avait pas été juste ou au moins qu’elle me le paraissait. J’éprouvais une espèce de satisfaction après que ce billet fut parti, car c’était surtout la crainte de lui plaire moins qui me tourmentait. Les femmes qui aiment passionnément souffrent sans cesse dans leurs rapports avec les hommes : même quand elles sont autant aimées, elles ont la crainte d’être mal gracieuses si elles disent ce qu’elles sentent, et quelle pénitence de cacher ce qu’on sent à celui qui l’inspire, et à qui il semble qu’on ne peut jamais le dire assez, et en le disant avec passion on craint de diminuer ce qu’on inspire ; et si on se l’entend dire moins, la fierté et la modestie défendent de demander sans cesse si on est moins aimée que la semaine dernière, qu’hier, qu’il y a une heure ; et la misère de la parole qui jamais ne fait voir le dedans de l’âme de ce qu’on aime ! Je pensais par mon billet me rétablir un peu dans ma dignité, qui d’ailleurs n’était pas grande, n’était rien ; seulement la profondeur, l’élévation et la pureté de mes sentimens devaient m’empêcher de n’être pas estimée.


Le 23 avril.

Jeudi matin, avant d’aller au Louvre, je me dis : Allons dans le Luxembourg regarder ses fenêtres. Je n’avais aucune idée de le rencontrer et je balançai même si j’irais. Mais le soleil était beau, la verdure fraîche, au haut de la petite montée je vis quelqu’un sortir par la petite porte. Je ne le reconnus pas de suite. Il s’avance, je me trouve en face de lui : c’est lui-même. Il prend mon bras, sa voix était tendre, j’étais si contente que je ne pus ouvrir la bouche. Nous marchâmes quelque temps. Je pensais à ce que j’avais si besoin de lui dire : Pourquoi N’êtes-vous pas venu quand je vous ai écrit avec tant d’instances ? Il n’est pas de bonne foi, je le crains, il commença par me dire qu’il ne pouvait sortir, ce jour-là, qu’il était malade. — Vous êtes allé chez Mme Arconati ! — Tout ce que je pus recueillir après des questions croisées et des preuves que je lui apportais, c’est qu’il n’avait pas envie d’avoir d’explications, c’est qu’il craignait l’émotion qu’il avait encore, alors qu’il aurait voulu aller à l’Opéra tous les soirs pour ne voir personne et être calme, qu’il était allé chez Mme Arconati parce que son mari