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explication lorsque j’en ai besoin, au lieu d’être obligée d’écrire et de dévorer jusqu’à ce qu’un hasard heureux ou la cérémonie de vous le demander me le fasse obtenir !


Journal de Mary Clarke.


Le 2 avril.

Un matin, c’était à la fin de janvier 1826, le printemps était arrivé plus tôt qu’à l’ordinaire ; ma fenêtre donnait sur des jardins ; entre six et sept heures j’étais couchée, j’entendis chanter un oiseau, je ne sais quelle traînée d’idées ce chant réveilla dans mon âme, mais ce fut le premier moment de bien-être que j’éprouvai depuis deux mois : l’idée du sacrifice entier de toute personnalité se présenta à moi comme une inspiration soudaine et fit couler comme dans mes veines un baume calme et tranquille. Comme ma pensée ne dure jamais longtemps, ma vie passée se présenta à moi, je me demandai : Qu’est-ce que les passions auxquelles je m’étais livrée avec un si complet abandon m’avaient donné de bonheur, comparé à l’excès des souffrances que j’avais endurées ? Je me fis une promesse de chercher à changer les habitudes de mon âme, mais tout cela ne fut pas de longue durée. Cependant, pendant que dura le bon moment, je me promis de m’occuper continuellement, de ne plus passer des heures à rêver et à désirer. Je retombai deux heures après dans l’agitation, mais je date de ce jour un commencement de mieux. Je me forçai à m’occuper un peu et à mettre un peu d’ordre : je commençais comme une espèce d’ardeur, et puis je retombais dans rabattement. Quand je me croyais plus calme et plus résignée, c’était souvent l’espérance qui se glissait dans mon âme, non pas l’espérance d’être jamais à Cousin, mais de le voir dans un jour ou seule, ou d’être serrée dans ses bras, ou de l’entendre me dire quelques-uns de ces mots qui lui échappaient et qui me semblaient déceler son amour pour moi malgré lui, ou de lui entendre dire qu’il était malade : car la passion contrariée ressemble à la haine, la souffrance de ce qu’on aime fait plaisir si c’est pour soi ; ou bien je repassais mille fois tout ce qu’il m’avait dit de lui, de son passé, son caractère ; ou je le voyais assis à mes côtés les bras autour de moi, me regardant avec ses beaux yeux si vifs, si brillans qu’ils ont l’air presque surnaturels. Un soir, vers ce temps, il était ici avec Fauriel : ils parlèrent