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fut pourtant pas une faillite comme la religion. Sans être de ces femmes que les enfans dédommagent de tout, Liselotte se montra mère excellente, et c’est une vertu qui porte sa récompense avec soi.


II

Au XVIIe siècle, les enfans des grands sentaient d’ordinaire leurs parens très lointains. Ils les voyaient à peine, et seulement en cérémonie ; on ne jouissait pas les uns des autres. Liselotte eut l’esprit de jouir de ses petits comme la dernière des bourgeoises. Elle pouponnait ; cela est évident à la façon dont elle parsème ses lettres à la tante Sophie, ou à Mme de Harling, de détails sur ses deux enfans, leurs premières dents, leurs premiers pas, leurs petites maladies, la première culotte du futur Régent, avec laquelle il était « si gentil. »

Grâce à elle, nous ne les perdons jamais de vue. La fille, Elisabeth-Charlotte[1], était fort laide, mais bien découplée. Pour la tenue, un franc polisson : — C’est le nom qui veut ça, déclarait Madame. Elle se reconnaissait dans cette gamine tapageuse et ingouvernable, mais « très farceuse » et « très drôle. » Le garçon, le petit Duc de Chartres, était « beaucoup mieux de figure » et « un peu plus sérieux que sa sœur… C’est un bon enfant, ajoutait sa mère, docile, qui fait tout ce qu’on veut[2]. » À douze ans, son dressage de prince destiné à figurer dans les cérémonies monarchiques en avait fait un petit bonhomme qui prenait les révérences très au sérieux : « En cela, disait Madame, il ne me ressemble pas du tout… Il a répondu l’autre jour à quelqu’un qui lui demandait s’il aimait les cérémonies et la parure : — Je ne les hais pas tant que Madame, mais aussi je ne les aime pas tout à fait autant que Monsieur[3]. » Madame l’adorait, et ne l’en fessait que plus rudement : — On doit la sévérité aux enfans, disait-elle. Les siens s’en aperçurent « Quand mon fils était petit, écrivait-elle en 1710, je ne lui ai jamais donné un soufflet, mais je l’ai fouetté si vigoureusement avec les verges, qu’il s’en souvient encore. Les soufflets sont

  1. Née le 13 septembre 1676.
  2. Du 29 septembre 1683 à la duchesse Sophie. Les mots en italiques sont en français dans l’original.
  3. Du 4 juillet 1686, à la même.