trouvé dans je ne sais quel étourdissement mélancolique que ne m’a point ôté entièrement le plaisir de me retrouver au milieu d’amis qui m’attendent et me reçoivent toujours comme un des leurs[1] J’ai trouvé cette ville plus animée qu’à l’ordinaire, et si j’avais le temps ou si j’étais dans la disposition de faire de nouvelles connaissances dont quelques-unes pourraient être aimables, je n’aurais qu’à vouloir ou même qu’à laisser faire. Mais mon parti est pris de ne point voir de nouveaux visages et de ne point chercher de nouvelles distractions. J’ai commencé par être un peu indisposé dans les premiers jours de mon arrivée ; et peut-être le mauvais temps qu’il a commencé à faire dans ces premiers jours y a-t-il été pour quelque chose : mais maintenant, voilà le beau ciel d’outre-mer revenu et une chaleur de Paris au mois de juin qu’il fait déjà, et je me trouve maintenant mieux et à peu près comme à l’ordinaire, au physique. Ce qui dure, c’est la mélancolie, c’est l’étonnement pénible de me trouver, pour ainsi dire, seul en Italie ; mais à cela je ne sais point de remède, ou je n’en sais point d’autre que celui de retourner où vous êtes. Je ne sais cependant pourquoi je persiste dans la disposition où je me suis senti depuis quelque temps de mieux aimer que ce ne fût pas en France. Cette disposition changera peut-être el j’en serai bien content, car elle m’importune ; mais il me faudrait pour cela n’entendre jamais d’autres nouvelles que de mes amis ou des vôtres, et cela n’est pas facile. Je travaille comme un galérien, mais jusqu’à présent j’ai fait plus de travail que d’ouvrage. Cela tient sans doute à la mélancolie où je me trouve sans vous ; mais je combats cette disposition et j’espère travailler mieux, sinon plus, de jour en jour, surtout à la campagne où nous serons dans huit ou dix jours.
11 juin 1825.
... Je me sens plus bête que jamais, je n’ai plus de mémoire du tout, je suis bien triste, je n’ai pas de capabilités du tout, il
- ↑ Fauriel était l’hôte habituel de Manzoni. à qui l’unissait une longue amitié. Les lettres fréquentes que lui adressait l’auteur des Fiancés sont parmi les plus importantes et les plus belles de l’Epistolario.— Les deux amoureux avaient fini par se réunir ; puis Mary Clarke avait quitté l’Italie, Fauriel devait la rejoindre à l’automne, après avoir passé par la Provence, où l’appelaient les recherches indispensables à la préparation de son grand ouvrage.