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toujours comprises jusqu’à ce jour, et que vous m’avez paru approuver, bien loin d’en être blessée. Je ne sais comment m’y prendre pour me justifier de vous avoir dit ce que je devrais vous dire encore, voulant vous parler sincèrement, ou pour vous expliquer aujourd’hui ce que vous avez compris et approuvé autrefois. Toute l’importance que je puis mettre à l’étude et à un travail littéraire, il est vrai que je la mets à celui dont il s’agit[1] : il y a douze ou quinze ans que je m’en occupe, que j’y rêve, que j’ai pris envers mes amis, envers tous ceux qui me veulent quelque bien et qui me croient plus de capacité que je n’en ai, l’engagement de le terminer : il est vrai que, dans les rêves de gloriole que j’ai faits quelquefois, comme tant d’autres impertinens mortels qui aspirent à laisser quelque vestige de leur passage sur ce pauvre petit globe, c’est sur l’idée de ce travail que je me suis fondé. Dans ce sens, j’ai bien pu dire que ce travail est l’affaire de ma vie ; et je le dirai encore toutes les fois qu’il s’agira de mes préoccupations et de mes études. La résolution que j’ai prise à cet égard m’a coûté ; séparé de vous depuis longtemps, ce n’est pas sans une douleur sincère que j’ai pu me décider à un parti qui prolongeait encore cette séparation : je m’attendais à ce que vous en fussiez affligée, mais pas révoltée et indignée, comme vous l’êtes. Et comment m’y serais-je attendu, moi qui, en songeant à ce misérable travail qui vous scandalise si fort, pensais surtout à vous, croyais faire quelque chose pour vous, visais à un moyen de plus de me rapprocher de vous. Enfin, puisque vous m’obligez à vous l’écrire, tout n’est pas gloriole à beaucoup près, dans les motifs de ma détermination : la misérable nécessité de gagner un peu d’argent dont j’ai besoin dès à présent, et dont j’aurai tout à l’heure encore plus besoin, y est pour sa part, et ce chétif argent, je ne sais d’autre moyen, ou pour mieux dire, d’autre chance de le gagner, que de publier le plus prochainement possible une partie au moins de ce travail où j’aurais été si heureux de pouvoir ne chercher qu’un peu de gloire à vous offrir. Quand je vous ai dit que ma résolution là-dessus était inébranlable, j’étais si loin de vouloir faire quelque chose de plus dur pour vous que ne le comportait la nécessité, que je n’ai rêvé depuis mon avant-dernière lettre qu’à quelque moyen de concilier ma résolution

  1. Il s’agit de l’Histoire de la Poésie provençale, qui fut publiée après la mort de Fauriel par J. MohI (3 vol., Paris, 1846).