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à son voisin le roi de Prusse. » On peut hardiment affirmer que, sans le maintien de la personnalité propre à chacune des dynasties allemandes, comme le relevait le prince de Bülow, lors de l’installation récente du buste de Bismarck au Walhalla, l’unité ne se fût pas faite en 1871. Il aurait donc fallu féliciter hautement le comte de Bismarck sur l’heure même et ne pas le traiter en fonctionnaire banal. L’histoire a été plus juste pour lui.

Le chancelier avait été, comme on le pense, très froissé. Le 21 janvier, il écrivait à sa femme et en lui demandant pardon d’avoir tardé à lui envoyer de ses nouvelles : « Cet enfantement d’empereur était laborieux et, pendant ces périodes, les rois ont leurs envies bizarres comme les femmes avant de donner au monde ce qu’elles ne sauraient quand même pas garder. Comme accoucheur, j’éprouvai plusieurs fois le besoin pressant d’être une bombe et d’éclater, de façon à mettre en pièces tout l’édifice !... » On comprend cette colère si justifiée, et l’on ne peut qu’admirer la force extraordinaire que le chancelier eut sur lui-même en résistant à l’envie naturelle de la manifester. A défaut des félicitations officielles qui lui revenaient de plein droit le 18 janvier 1871, il eut une réelle compensation dans la satisfaction personnelle qu’il ressentit pour avoir mené jusqu’au faîte l’édifice de l’unité, et cela dans les conditions où il avait osé le prédire lui-même, « par le feu et par le fer, igne et ferro. » Ces conditions terribles, il les avait envisagées de sang-froid, il les avait même conseillées. Que lui importaient alors, pourvu qu’il réussît dans sa tâche, que lui importaient la destruction et la mort ? Cet artisan farouche allait froidement à sa besogne, les bras ensanglantés.

« Le lendemain de la proclamation de l’Empire, dit Albert Sorel, le canon de Buzenval annonçait l’agonie de Paris. Le bombardement de Paris continuait. Saint-Cloud commença de brûler ; l’incendie dura huit jours, allumé par des mains barbares en l’honneur du nouvel Empire. C’est ainsi que fut proclamé dans le monde le triomphe de l’œuvre de Bismarck[1]. » Le 24 janvier, à la Conférence de Londres, la Russie, pour remercier la Prusse d’avoir laissé rompre en sa faveur le traité de 1856, saluait Guillaume Ier empereur, et les autres représentans

  1. Histoire de la diplomatie de la guerre franco-allemande, t. II.