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ce qui était une façon de montrer que l’Empire allemand n’était que l’agrandissement même de la Prusse, Guillaume l’avait compris ainsi, et c’est pourquoi, avec son désir d’étendre et d’exalter son propre royaume, il avait souffert dans son orgueil de n’avoir pas été reconnu ouvertement le maître absolu de tous les Etats alliés et annexés à la Prusse. Ce qui le prouve, c’est cette lettre écrite par le nouvel Empereur à l’impératrice Augusta le jour même de la proclamation : « Je reviens à l’instant du château, l’acte impérial accompli ! Je ne puis t’exprimer dans quelle émotion morne j’étais pendant ces jours derniers, d’une part à cause de la haute responsabilité que j’ai maintenant, d’autre part et avant tout à cause de ma douleur de voir le titre prussien au second plan. Hier, dans une conférence avec Fritz, Bismarck et Schleinitz, j’ai fini par être si triste que j’étais sur le point de me démettre et de tout transmettre à Fritz. c’est seulement après m’être adressé à Dieu dans une fervente prière que j’ai recouvré la fermeté et la force ! Qu’il accorde que tant d’espérances et d’attentes puissent s’accomplir par moi ! Quant à mon loyal vouloir, il ne fera pas défaut[1]. » On va retrouver ces mêmes impressions dans le Journal du prince Frédéric qui forme une véritable page d’histoire. « 18 janvier. — Toutes les ambitions temporelles de nos ancêtres, tous les rêves de nos poètes sont maintenant réalisés et l’Empire, délivré de ses entraves et des scories de l’Empire romain, s’élève et se rajeunit tout à coup dans sa tête et ses membres. La nouvelle de la victoire de Werder à Chenebier fit bonne impression sur le Roi et le rendit tout allègre. De Moltke venait de lire tout haut les dépêches, lorsque la musique éclata. Les soixante étendards suivaient. Cette vue mit le Roi de bonne humeur. J’avais tout calculé pour déterminer cette heureuse impression et ordonné que l’on ferait un détour pour arriver, en même temps que les équipages, à la préfecture, et j’avais indiqué l’heure à laquelle la musique se ferait entendre. Un rayon de soleil traversa les nuages en cet instant. La fête fut incomparable. » Le prince héritier regrette seulement que le commandement d’enlever les casques pour la prière ait été oublié. « Après que Sa Majesté eut lu une courte harangue aux princes allemands, Bismarck s’avança et, de la voix sèche et rapide d’un

  1. Unser Helden Kaiser, — Notre héros impérial, par le professeur W. Oncken. — Cette lettre corrobore les assertions du grand-duc de Bade.