Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/823

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Empereur d’Allemagne impliquait des prétentions souveraines sur les territoires non prussiens ; — ce que voulait secrètement le roi Guillaume ; — mais ces prétentions, les princes n’étaient pas disposés à les admettre. La lettre du roi de Bavière portait que l’exercice des droits présidentiels serait lié au titre d’Empereur allemand. Bismarck tenait d’autant plus à cette déclaration qu’il en était l’auteur, et que le Bundesrath avait consigné et voté le titre dans la nouvelle rédaction de la Constitution. Il savait bien d’ailleurs que, si on ne l’acceptait pas, tout serait à recommencer ; or, en présence des événemens, il fallait en finir. La lutte fut très ardente entre le chancelier et le Roi qui ne voulait rien entendre.

Voici comment le prince royal la raconte dans son Journal[1]. Je traduis cette scène curieuse d’après le texte allemand : « 17 janvier. — Dans l’après-midi, chez le Roi, audience de Bismarck et moi, trois heures durant, dans une chambre surchauffée. Il s’agissait : 1° du titre à donner au chef du nouvel Empire ; 2° du règlement de la succession à la couronne. Pour ce qui regarde le titre, Bismarck constate que, lors de la discussion de la Constitution nouvelle, les plénipotentiaires bavarois ont déclaré ne pas vouloir accepter le titre d’Empereur d’Allemagne et que, pour les satisfaire, il a cru pouvoir, sans consulter préalablement Sa Majesté, leur concéder la formule d’Empereur allemand. Il a répété que le titre d’Empereur

  1. Bismarck, que bien des passages du Journal intime avaient contrarié, essaya, quand il parut, d’en contester l’authenticité, mais ce fut en vain. Il témoigna la plus grande hostilité au conseiller Geffcken qui l’avait publié dans la Deutsche Rundschau du 1er octobre 1888 et il obtint son emprisonnement comme accusé d’avoir falsifié un document des plus graves. Geffcken fut traduit en justice et acquitté. Croyant ou voulant trouver dans quelques mots la preuve que le journal du prince avait été altéré, Bismarck avait fait un rapport à Guillaume II (le 23 septembre 1888) où il exprimait son indignation contre le faussaire Geffcken, le guelfe hanséate, « un ambitieux aigri, qui depuis 1866 se croyait méconnu. » (Pensées et Souvenirs, t. Ier, p. 149.) — Ce qu’il faut retenir des insinuations de Bismarck contre le Journal du prince royal, c’est d’abord la crainte que lui avait causée le rappel du règne libéral d’un prime en désaccord avec lui ; puis, c’est l’injure faite à la mémoire de Frédéric VII, dont le chancelier avait dit qu’en 1870 le prince était « tenu en dehors des négociations politiques, parce que le Roi, d’une part, craignait les indiscrétions qui pouvaient être commises avec l’Angleterre encore remplie de sympathies pour la France, et que, d’autre part, il redoutait un refroidissement avec les alliés allemands à cause du but trop éloigné et des moyens violens qui étaient recommandés au Kronprinz par des conseillers politiques d’une compétence douteuse. » Ainsi, le chancelier supposait que le prince royal était capable de trahir les secrets de l’État et de s’opposer par caprice à la formation de l’Empire. Qui, de lui ou de Geffcken, était coupable de lèse-majesté ?