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A cela, Bismarck objecta que des menaces jetteraient les Etats du Sud dans les bras de l’Autriche. Il fallait laisser la question allemande se résoudre avec le temps. Le prince royal répliqua que, représentant l’avenir, il ne voulait pas admettre ces hésitations. On pouvait encourir le risque de voir la Bavière et le Wurtemberg se rallier à l’Autriche. S’ils l’osaient, rien de plus facile que de faire proclamer l’Empire par les souverains allemands présens à Versailles, et de promulguer la Constitution garantissant les droits du peuple allemand. Les monarques du Sud ne résisteraient pas à cette pression. Le chancelier fit remarquer au prince que son opinion était isolée. Pour atteindre le but, il faudrait une motion du Reichstag. S’abritant derrière la volonté du roi de Prusse, Bismarck regrettait le langage du prince et jugeait que, s’il était connu, il ferait mauvais effet. Le prince se fâcha et protesta énergiquement contre cette façon de lui fermer la bouche quand l’avenir était en jeu. C’était au Roi seul à lui prescrire le silence. Le chancelier répondit que si le prince commandait, il obéirait. Celui-ci répliqua qu’il n’avait pas d’ordres à lui donner. Alors Bismarck ajouta qu’il ferait place volontiers à tout autre personnage que l’on croirait plus apte que lui à diriger les affaires, mais qu’en attendant, il était obligé d’agir suivant ses principes et l’expérience acquise. « Si j’ai été vif, dit le prince quelques instans après, c’est qu’il m’est impossible de considérer avec indifférence un événement aussi important pour l’histoire du monde[1]. »

A la suite de cet entretien, le chancelier, d’accord avec le grand-duc Frédéric, résolut d’isoler la Bavière et de s’en tenir tout d’abord à l’entente formée avec Bade, la Hesse et le Wurtemberg du 15 au 19 novembre, puis il fit convoquer pour le 24 le Reichstag où Delbrück allait lui servir de porte-parole. Tout cela se faisait sans que la Prusse daignât consulter l’Europe. Elle informa seulement l’Autriche, qui aurait pu se souvenir peut-être des clauses du traité de Prague. Le comte de Beust répondit que son gouvernement n’avait pas l’intention d’opposer ce traité à la logique des événemens qui avaient livré à la couronne de Prusse la direction de la Confédération allemande, et qu’il acceptait sans réserves le projet d’unité de l’Allemagne sous l’égide de la Prusse. Il promettait même de « saisir avec

  1. Journal du prince royal.