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impérial, ce qui devait amener nécessairement l’unité et la centralisation désirées. Ses raisons étaient excellentes, mais elles durent être répétées, soutenues avec force et opiniâtreté, pour entrer dans un cerveau rebelle. L’idée de l’absolutisme prévalait chez Guillaume sur toute autre idée.

L’acquisition de l’Alsace n’était pas faite pour accommoder les conflits entre les princes[1]. Les uns auraient voulu qu’on formât sur la frontière un État allemand homogène ; les autres, qu’on donnât l’Alsace à la Prusse. Le prince royal estimait au contraire qu’il fallait faire sentir à l’Alsace qu’elle ferait partie à l’avenir d’un grand État ; mais la Bavière réclamait l’Alsace pour le grand-duché de Bade à la condition expresse que celui-ci lui cédât le Palatinat. Le parti de la grande Allemagne désirait qu’avant de partager le gâteau, la Bavière et le Wurtemberg prissent l’initiative de la transformation de la Confédération du Nord en union allemande. Devant l’hésitation de ces deux États, le gouvernement de Bade, au lendemain de Sedan, demanda à entrer dans la Confédération, à faire de l’Allemagne une seule et même nation et à rétablir le titre impérial. C’était bien, mais le chancelier attendait mieux encore. Il voulait que la Bavière fît d’abord la demande et il se montrait pressant à cet égard. Le 12 septembre, le comte de Bray, ministre de Louis II, émit la proposition au nom du roi, mais sous une forme restreinte. Il offrait de créer une Fédération qui comprendrait un Parlement à compétence limitée et une armée homogène en temps de

  1. Otto de Manteuffel avait écrit, le 23 août 1870, au comte de Bismarck que l’Alsace et la Lorraine devraient être enlevées à la France et devenir pays d’Empire, mais avec neutralité au point de vue du droit des gens. Le chancelier lui répondit le 8 septembre : « Je suis, comme Votre Excellence, sans appréhension sur la future réunion de tous les États allemands en un grand Empire. Votre Excellence comprendra mon scrupule à parler dès à présent du prix de la victoire, mais dans le cas où, s’il plait à Dieu, la victoire resterait fidèle à nos drapeaux et où l’Allemagne pourrait reconquérir son ancien pays d’Empire, votre idée que ces territoires ne soient point partagés, mais déclarés pays d’Empire et administrés au nom de l’Allemagne, a déjà été agréée par Sa Majesté le Roi aussitôt après les premières victoires. En revanche, il me paraît impossible de concilier la neutralité avec une semblable situation. Il faut que les nouveaux pays deviennent une partie intégrante de l’Allemagne pour laquelle leurs forteresses créeront la base qui manquait jusqu’ici à sa défense du côté de l’Ouest. De leur neutralité naîtrait le danger que les sympathies des habitans et de leur armée ne gravitent vers la France en cas de guerre et que ces sympathies françaises, qui resteront immanquablement dans la majorité de la population, ne trouvent probablement dans leur armée un point de cristallisation dangereux. » (Mémoires d’Otto de Manteuffel, tome III.)