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En revanche, l’empire du Roi sur Madame était immense. De quelque nom que l’on nomme le sentiment qu’elle éprouvait pour lui, on ne saurait nier qu’il ne fût très absorbant. Il remplissait sa vie de l’idée du Roi, du besoin de voir le Roi, d’être près de lui et d’entendre le son de sa voix. Dans les périodes de défaveur où Louis XIV la tient à distance, Madame semble une personne à qui l’air respirable fait défaut. Il suffit d’une légère attention du prince, d’un mot gracieux, pour qu’elle renaisse et s’épanouisse.

Il y a là une Liselotte intime que nous voudrions faire bien connaître. Force nous sera de faire d’abord un retour en arrière, car c’est en Allemagne, et dès son enfance, qu’elle a reçu un premier pli définitif en devenant libertine. C’est ensuite par les lettres et les nouvelles d’Allemagne, par le rôle équivoque qu’elle a vu jouer aux siens dans les affaires religieuses de leur pays, en particulier dans la fameuse tentative de réunion des deux Eglises, que Madame s’est confirmée et acoquinée dans son incroyance. Non pas qu’elle n’eût trouvé en France abondance de sceptiques ; mais l’impiété française lui déplaisait : nos libertins faisaient trop d’esprit. L’impiété allemande, moins frivole et très utilitaire, était bien mieux son fait. C’est un des points où la différence de race se fait sentir le plus vivement, et de la façon la plus curieuse.


I

Le sentiment religieux avait toujours fait défaut à Liselotte. Elle était la première à dire qu’elle ne comprenait pas « le mistique, » et aucun des éducateurs de sa jeunesse ne s’était trouvé propre à lui en faciliter l’intelligence. Son père et sa tante Sophie en étaient bien incapables, n’y comprenant rien eux-mêmes. D’ailleurs, ils l’auraient pu, qu’ils ne l’auraient pas voulu, par scrupule : ils considéraient la religion comme une maladie : « La religion fait plus de mal que de bien dans ce monde, déclarait la duchesse ;… les nations les plus stupides y adhèrent le plus[1]. » Et elle ne tarissait pas en railleries. Charles-Louis se rendait mieux compte de l’importance sociale des Églises. Il s’occupait des âmes de ses sujets avec la même conscience que

  1. Du 3 août 1663, à Charles-Louis.