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changement politique avec une parfaite indépendance de jugement.. Nous n’avons à prendre parti ni pour, ni contre l’Empereur, ni pour, ni contre le chancelier : les plus simples convenances nous l’interdisent. Nous constatons seulement que l’Empereur a donné un grand exemple de patriotisme en déléguant à un autre une partie des pouvoirs que la Constitution lui attribue sans aucune contestation possible. S’il est sincère, et il l’est certainement, l’histoire montrera sans doute plus de générosité à son égard que ne l’ont fait ses sujets dans un moment d’exaspération. Quant au chancelier, il a remporté une grande victoire ; mais il a assumé en même temps une lourde tâche. Il a rempli, avec beaucoup de fermeté, un devoir qui a dû lui être pénible, car il est attaché à l’Empereur par les liens de la reconnaissance. Il s’est trouvé subitement placé dans une des situations les plus angoissantes qui peuvent incomber à un homme d’État. L’Empereur l’avait investi de sa confiance, et tout d’un coup, après quelques jours de trouble où il a partagé dans l’opinion la disgrâce de son maître, par un revirement brusque et inattendu, le pays lui a manifesté à son tour une pleine confiance et l’a charge d’être son interprète auprès du souverain. Que pouvait-il faire ? Donner sa démission ? Très probablement il a été tenté de le faire, mais, s’il l’avait fait, la crise en aurait été fort aggravée ; elle n’aurait pas atteint son dénouement aussi facilement, ni aussi vite ; la situation de l’Empereur aurait empiré ; celle du Reichstag se serait très fâcheusement embrouillée, et qui sait si aux violences de paroles n’auraient pas succédé les violences de fait ? On peut juger diversement sa conduite : M. de Bülow n’en a pas moins été la planche de salut au milieu de l’orage, et il est heureux pour l’Allemagne que cette planche de salut se soit trouvée là. Quant à l’avenir, qui pourrait le pronostiquer ? Il serait très excessif de dire que l’Allemagne se dirige à grands pas vers le gouvernement parlementaire, et qu’elle est déjà près d’y aborder ; elle a encore un certain nombre d’étapes à traverser ; mais s’il est vrai, comme l’a écrit la Gazette de Cologne, que les peuples ne doivent pas se pétrifier, s’ils sont sans cesse en évolution, s’ils marchent toujours vers quelque chose, c’est bien vers une plus grande somme de parlementarisme que marche l’Allemagne. Elle était entrée déjà dans cette voie le jour où M. de Bülow a déclaré qu’il donnerait sa démission s’il n’avait pas la majorité au Reichstag ; elle vient d’y aller encore plus avant, en obligeant l’Empereur à renoncer au pouvoir personnel et en dégageant le chancelier des obligations unilatérales qu’il avait envers lui. Dans un pays, le pouvoir