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lui interdire l’entrée, le lieutenant D… dirigeait avec habileté le voyage de Myngoon. L’arrivée à Haïphong, la traversée d’Hanoi, grâce aux précautions prises, s’effectuèrent sans incident. Après avoir franchi le delta tonkinois, on entra dans le quatrième territoire militaire où l’on pouvait voyager plus librement. Les fugitifs, désormais livrés à eux-mêmes, trouvèrent à tous les postes un accueil cordial, des chevaux rapides et des guides sûrs. Doublant les étapes, ils étaient dans les premiers jours de février à Laï Chau, chez Deo-van-Tri qui les reçut avec distinction et se hâta d’expédier des émissaires à tous les sobos des pays riverains du Mékhong pour leur annoncer la bonne nouvelle. En attendant la réunion de la troupe nombreuse et bien armée qui devait l’escorter à Xieng-Hong et qui se rassemblait par petits groupes arrivant chaque jour à Laï Chau, Myngoon contrôlait avec soin ses renseignemens sur la situation politique et militaire des États chans, et se reposait des fatigues de son pénible et rapide voyage. Malgré son extraordinaire vigueur, il subissait l’influence de ses cinquante-trois ans et de ses dix années de réclusion complète à Saigon. Cet arrêt d’une quinzaine de jours était indispensable ; il causa la perte du prétendant.

Un matin, le chef d’un petit détachement de milice devançant à marches forcées le Commissaire de la Rivière Noire arrivait à l’improviste à Laï Chau et remettait au prince une longue missive du Gouverneur Général par intérim qui remplaçait M. Rousseau mort depuis deux mois. On lui rappelait ses engagemens et on l’invitait avec de belles formules à rentrer de gré ou de force à Saïgon. Myngoon fut atterré. Il pouvait déjà disposer de quatre-vingts fusils environ et ce nombre augmentait sans cesse ; Deo-van-Tri lui promettait son appui. Mais il songea qu’il avait laissé en Cochinchine sa famille presque sans ressources et dont l’expulsion serait la réponse à sa résistance ; qu’il devrait se frayer un passage par la force et massacrer les soldats d’une nation dont il avait si longtemps accepté l’hospitalité. Les yeux humides, malgré son énergie, il se soumit à l’ultimatum qu’on lui présentait. Il déclara renoncer à ses projets si près de réussir, envoya des contre-ordres à ses partisans[1], congédia son escorte qu’il eut grand’peine à calmer, et reprit la route de Saïgon.

  1. Quelques-uns arrivèrent trop tard, et dans maintes localités, à Mandalé, notamment, il y eut aujourd’hui des échauffourées dont la violence est suggestive.