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la plus difficile à remplir. On arrivait à la fin de 1896 et l’on avait fixé la date du mouvement au début de la saison des pluies de l’année suivante. Une première tentative de départ avait échoué par l’imprudence d’un émissaire envoyé à Paï Lin et qui laissa prendre ses papiers par des policiers anglais. On fut avisé à temps que la voie du Mékhong, si longue et si propice aux embûches, était surveillée sur le territoire siamois ; malgré l’aide généreuse de M. Blanchy, maire de Saïgon et de M. Blanchet, directeur des Messageries fluviales de Cochinchine, qui offraient, l’un des passeports d’Indiens, l’autre les moyens de transport pour le prince déguisé en chetty, il sembla prudent d’attendre une autre occasion. Elle ne tarda pas à se présenter.

La libre circulation depuis longtemps accordée aux courriers de Myngoon suggéra un nouveau projet. Le prince demanda et obtint trois passeports officiellement destinés à des émissaires, mais qui devaient en réalité être utilisés par le prétendant, son fils aîné, un Birman dévoué cumulant les emplois d’interprète et de serviteur. La voie du Mékhong étant barrée, les fugitifs s’embarquaient à Saïgon pour Haïphong, le 14 janvier, sur le vapeur Canton de la Compagnie nationale, comme passagers de pont ; ils traverseraient, toujours déguisés, le Tonkin et passeraient à Laï-Chau ; Deo-van-Tri, chef absolu de la haute Rivière Noire, qu’on avait prévenu, faciliterait leur voyage à Xieng Hong, sur la frontière de Chine, où les attendaient des amis sûrs. Myngoon y renforcerait son escorte et pénétrerait sur le territoire birman de Xieng-Tong où devait le rejoindre le lieutenant L…, qui, sous prétexte de recherches géographiques, se préparait à traverser le Siam.

Enfin, pour se préserver contre les conséquences prématurées d’une visite indiscrète faite au prince après son départ, on imagina le stratagème suivant : Myngoon, chef du bouddhisme birman, faisait à chaque nouvelle année[1], suivant les rites nationaux, une retraite absolue d’une quinzaine de jours dans une cabane spécialement construite pour cet usage ; connaissant le respect officiel professé par les Français pour toute autre religion que la leur, on avança au 10 janvier la date de la retraite ; le prince entra ostensiblement dans sa cabane où l’on était sûr que nul agent du gouvernement n’oserait troubler ses méditations ;

  1. L’année des peuples d’Extrême-Orient commence à une date variable, pendant notre mois de février.