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il ne manifesta aucune surprise et lui laissa jouer le rôle inattendu qu’il s’était attribué. Myngoon put ainsi gagner sans danger le courrier de Saigon où, grâce à son maître improvisé qui le présenta et raconta son histoire, on lui fit un enthousiaste accueil.

Cependant le passager anglais avait fait part de ses soupçons au gouverneur de Ceylan ; la surveillance du Tigre s’organisait promptement. Mais la déception fut grande lorsqu’on apprit du domestique la fuite de Myngoon qu’il avait reconnu trop tard sous son nouveau déguisement quand la chaloupe des Messageries maritimes s’éloignait déjà du bord. Le gouverneur supposa que l’arrestation, manquée à Colombo, pourrait être faite à Singapour, Il crut que cette ville était, grâce à ses facilités de communication avec la Birmanie, le but immédiat du prétendant. Mais les instructions que le Cabinet anglais se hâta de télégraphier au gouverneur des Strait’s Settlements furent inutiles. Myngoon se garda bien de descendre à terre pendant l’escale et, le 21 octobre 1889, il arrivait sans incident à Saigon.


IV

Le gouvernement français avait appris, trop tard pour l’empêcher, le succès de sa tentative. Son passage à Colombo avait mis en émoi le cabinet de Londres et le gouvernement indien. Aussi, le courrier était-il à peine accosté, que le prétendant se trouvait en présence d’une situation imprévue. Un envoyé du gouverneur de la Cochinchine montait sur le pont et signifiait au prince les nouvelles intentions du gouvernement français à son égard ; pour des raisons diplomatiques il devait retourner sans retard à Pondichéry. Myngoon se révolta contre cette exigence ; il cria sa réponse que traduisit scrupuleusement l’interprète officiel et qu’entendirent de nombreux passagers : « Je suis l’hôte de la France et non son prisonnier. J’ai promis de ne pas faire de ses territoires la base d’une agitation en Birmanie et je tiens ma promesse ; je veux seulement rentrer dans mon pays, et c’est pour cela que je me suis enfui de Pondichéry. Si vos lois vous autorisent à m’enchaîner pour m’y ramener comme un malfaiteur, faites-le, vous êtes les plus forts ; mais ne comptez pas que je m’y rendrai volontairement. »

L’envoyé, stupéfait, rapporta cette réponse avec les commentaires