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émissaires qui franchissaient le cercle de surveillance apportaient à Myngoon des appels de plus en plus pressans. La situation du Tonkin commençait à préoccuper le gouvernement français qui ne voulait pas augmenter ses embarras, alors nombreux sur toutes les parties du globe, par un appui matériel donné au prétendant birman. Des ordres formels de neutralité absolue, qui devaient être trop fidèlement exécutés, avaient été envoyés au gouverneur de nos établissemens dans l’Inde. Myngoon comprit qu’il ne pouvait plus compter que sur lui-même. Il décida de continuer sa route en se fiant à son étoile et d’atteindre la Birmanie en passant par la vallée du Mékhong ou par celle du Fleuve Rouge. Ce nouvel itinéraire, plus long, mais plus sûr, l’obligeait à gagner Colombo pour y prendre l’un des courriers français d’Extrême-Orient, qui le transporterait à Saigon ou même à Shang-Haï, si un détour à travers la Chine lui était imposé par les circonstances.

M. Larmit, juge à Chandernagor, connaissait le dessein du prince dont il était devenu l’ami et le confident. Comme presque tous nos compatriotes établis à l’étranger et surtout dans l’Inde, il avait peu de sympathie pour l’Angleterre, que ses ambitions extérieures faisaient alors partout notre rivale. L’occasion lui sembla bonne pour aider au départ du prétendant qui s’affirmait résolu à soutenir, par reconnaissance autant que par nécessité, les intérêts français dans ses futurs États. Il semblait toutefois impossible, grâce aux extraordinaires précautions de la police anglaise, de conduire sans encombre Myngoon à Calcutta pour l’embarquer sur le courrier des Messageries maritimes qui faisait le service de Colombo correspondant à la grande ligne d’Extrême-Orient ; mais le plan imaginé par M. Larmit était d’une élégante simplicité.

On sut bientôt dans la ville que le juge voulait expédier en France une grande malle pleine de cadeaux, armes et soieries birmanes, vases de cuivre et d’argent, offerts par le prince à son ami. Cette manœuvre préparatoire devait permettre à M. Larmit d’enfermer Myngoon dans une caisse qu’il transporterait avec une charrette jusqu’au fleuve où elle serait chargée sur un remorqueur du gouvernement. Après avoir navigué sur le Gange pendant la nuit, on accosterait directement à Calcutta le Tigre, courrier annexe de Colombo, dont M. Larmit connaissait bien tout l’état-major et, dans les préparatifs du démarrage, le transbordement