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ambitieux déçus qu’on trouve toujours dans l’entourage des princes errans ou des tribuns populaires dont ils escomptent la fortune, viennent alors apporter la preuve décisive dont le prix varie suivant les circonstances, et démontrent aux juges qu’il faut convaincre la sagesse des précautions prises, la nécessité des sanctions réclamées par le gouvernement. C’est ainsi que Myngoon, accusé d’être venu du pays Karini pour s’emparer de Rangoon, fut condamné à la déportation par la Haute Cour d’après les rapports de quelques policiers et les sermens de deux anciens serviteurs qui certifièrent l’existence d’un complot pour l’enlèvement de la ville et le massacre de la garnison.

Pendant le procès, le prince s’était défendu noblement. Il affectait de ne pas craindre une accusation ridicule qui le montrait sur le point de s’emparer avec vingt-cinq Birmans d’une cité défendue par de nombreux canons et des milliers de soldats anglais. Mais cette accusation servait trop bien les méfiances du Chief Commissioner qu’effrayait la présence dans sa capitale d’un prince aimé de la population, entreprenant et résolu. La sentence d’exil prononcée par la Haute Cour, les généreuses gratifications données aux policiers qui avaient signalé le complot, les emplois officiels accordés aux accusateurs dont le témoignage fut décisif semblent justifier les protestations de Myngoon. Plus de trente ans après cet événement, il affirme encore la duplicité du gouvernement indien qui supprimait ainsi le principal obstacle à l’exécution de ses projets, vagues encore, sur le royaume d’Ava.

La rigueur déployée par le colonel Fychte dans l’exécution du jugement montre bien d’ailleurs l’inquiétude inspirée aux fonctionnaires britanniques par le prince fugitif, dont le prestige sur les masses populaires augmentait chaque jour. Embarqué sans délai sur le vapeur qui faisait le service de Port Blair où se trouvait le pénitencier des condamnés de droit commun, il fut gardé à vue dans une cabine que fermait en outre un solide grillage destiné à déjouer les tentatives d’amis ou de complices dévoués. Ce luxe de précautions, plus encore que le lieu choisi pour sa résidence, indigna Myngoon qui se plaignit hautement d’être traité « comme un tigre du Bengale et non comme un prince royal d’Ava. » Le roi Min Doon eut ainsi connaissance de la situation ignominieuse dans laquelle on avait placé son fils. Malgré son amour de la paix, il comprit qu’il