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ou tend fatalement à l’anarchie. » Par où, non seulement elle n’est pas par elle-même une réorganisation, mais elle inclinerait plutôt à devenir, en se prolongeant, « un obstacle à toute vraie réorganisation. » Mais qu’elle ne soit pas cette réorganisation, qu’elle risque d’v être un obstacle, cela ne fait point qu’une réorganisation ne soit pas utile et urgente. Incomplète qu’elle est, et ayant fait sa part, ayant épuisé sa vertu, elle appelle son complément. A la période critique doit succéder une période organique où la tâche sera de concilier, de combiner les deux aspirations « fondamentales » vers l’ordre et vers le progrès, de façon que leur résultante soit le progrès dans l’ordre, le progrès même étant défini l’ordre en mouvement. Organisation ou réorganisation rendue possible depuis que le XVIIIe siècle, notamment avec Turgot et Condorcet, a introduit dans le monde la notion de progrès, et que la Révolution a détruit, — c’était sa fonction de détruire, — la croyance en l’immutabilité, en l’immobilité de l’ordre.

Mais cette crise qu’Auguste Comte ne ferme pas brièvement au 18 Brumaire, il ne la fait pas non plus s’ouvrir par un déchirement soudain au 5 juillet 1789, à la réunion des États généraux : il ne la fait pas tenir toute dans les incidens parlementaires et dans les accidens révolutionnaires ; il ne l’enferme pas dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, de la Convention ou de la Commune de Paris. Elle est là sans doute, mais aussi, et plus encore peut-être, elle est ailleurs. Elle consiste essentiellement, aux yeux de l’auteur de la Philosophie positive (et il vaudrait la peine de vérifier jusqu’à quel point la généralisation est exacte), dans l’opposition du nouveau système « scientifique et industriel » à l’ancien système « théologique et militaire. » Prenons, ici comme partout, les mots pour ce qu’ils sont et gardons-nous d’y voir une adhésion anticipée à un anticléricalisme et un antimilitarisme également inintelligens, — c’est Auguste Comte qui tient la plume, ce n’est ni M. Homais, ni Bouvard ou Pécuchet, ni quelque autre ! Lorsqu’il écrit « théologique, » c’est « théologique » qu’il veut dire, et « scientifique, » c’est « scientifique ; » rien de moins, rien de plus ; le mot enveloppe l’idée, l’idée emplit le mot ; la pensée se suffit sans arrière-pensée. — Comte admet donc, parmi les causes les plus actives de la crise, les « découvertes de la science et de l’industrie, » ce qui le conduira, par l’opposition du nouveau système à l’ancien,