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Nesselrode. « L’intention, le désir et la volonté de notre auguste souverain, disait-il à Mme Moreau, seraient que vous vinssiez en Russie. Vous le devez, madame et amie, si ce n’est pour vous, du moins pour votre enfant. »

Par suite de ces arrangemens, le 6 septembre, Svinine, qui avait rejoint à Tœplilz le comte de Nesselrode, partait pour l’Angleterre, porteur d’une lettre du Tsar, et, le 22 du même mois, le convoi funèbre, qu’accompagnait Rapatel, quittait Prague où, Moreau mort, sort corps avait été transporté et embaumé, et se mettait en route pour Saint-Pétersbourg[1].

Des ordres avaient été donnés en Russie pour sa réception aux frontières de l’Empire et son libre passage dans les États impériaux. A Saint-Pétersbourg, les honneurs militaires l’attendaient. Les funérailles furent célébrées en grande pompe à Sainte-Catherine, l’église catholique. Avant que le corps ne fût déposé dans le caveau, où il est resté depuis, un jésuite français émigré, le P. Rosaven, prononça l’oraison funèbre qui ne satisfit personne. Du reste, la solennité donnée à la cérémonie n’en put dissimuler la froideur. Les fonctionnaires russes y assistaient par ordre. Aux places réservées au Corps diplomatique, Joseph de Maistre, qui occupait la sienne, constata des vides. Le comte de Briou, représentant officieux de Louis XVIII, profita de ce qu’il était sans instructions pour ne pas paraître. Il était de ceux qui ne croyaient pas au royalisme de Moreau. Rapatel repartit aussitôt pour rejoindre Alexandre, auprès duquel le rappelaient ses fonctions d’aide de camp.

A Londres, où on l’a vue se réfugier en s’enfuyant de Bordeaux, Mme Moreau était en proie au plus affreux désespoir, que s’efforçait vainement d’apaiser la comtesse de Lieven. Depuis le jour où on avait appris en Angleterre que. le général accourait d’Amérique à l’appel du Tsar, l’ambassadeur et sa femme s’étaient rapprochés d’elle et l’avaient comblée d’égards et de politesses. Au premier récit du malheur survenu au général, et qu’avaient d’abord transmis les gazettes, ils étaient accourus, redoublant de soins. C’est à Mme de Lieven que Rapatel avait envoyé, en la suppliant de le remettre elle-même, le court billet qu’il avait envoyé du champ de bataille à Mme Moreau pour lui apprendre que son mari était blessé : « Le général a perdu ses

  1. Les frais de ce voyage s’élevèrent à 800 ducats que paya le trésor impérial.