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de son ancien rival au camp des alliés ; il ne l’apprit que grâce au hasard qui amena dans le sien, à la fin de la journée du 27, un chien errant appartenant à Moreau, sur le collier duquel était gravé le nom de son propriétaire.

A la nouvelle de l’événement tragique qui lui enlevait un homme pour lequel il avait, en quelques jours, conçu des sentimens d’amitié et qui périssait pour avoir consenti à servir sa cause, le Tsar versa des larmes. Il s’affligeait d’avoir perdu « un ami » et d’être la cause de son trépas. Ces regrets apparaissent dans les ordres qu’il s’empressa de donner afin d’honorer sa mémoire. Le colonel Rapatel reçut, le premier, le témoignage de la bienveillance qu’Alexandre entendait exercer au profit de ceux qui s’étaient dévoués à Moreau. Il l’attacha à sa personne en qualité d’aide de camp. Il lui fit ensuite demander s’il voulait se charger d’aller porter à Londres une lettre qu’il se proposait d’écrire à la veuve pour lui exprimer ses regrets et lui offrir un asile en Russie, ou s’il préférait accompagner à Saint-Pétersbourg les restes du général, auxquels il tenait à honneur de donner la sépulture dans sa capitale. En le laissant libre de choisir l’une ou l’autre de ces missions, il inclinait à penser que mieux valait qu’il choisît la seconde. Quelque pénible qu’elle fût, elle ne pouvait être confiée, faisait-il écrire à Rapatel par le comte de Nesselrode, qu’à celui qui avait été uni au général» par tous les liens de l’amitié et de la reconnaissance. » Dans ce cas, il enverrait à Londres Svinine qui avait été attaché au défunt. Connu déjà de Mme Moreau, il semblait désigné pour lui faire part des offres de l’Empereur, s’en entendre avec elle et la conduire en Russie.

Rapatel n’hésita pas. Sans doute le voyage derrière le cercueil de son général serait affreux pour lui. Mais il le préférait à la douleur « d’aller confirmer en personne la triste nouvelle à Mme Moreau. » En l’avouant à Nesselrode, il le suppliait de ne pas laisser Svinine arriver à Londres et se présenter chez la veuve sans l’avoir préparée à cette visite. Il conseillait d’employer à cet effet la comtesse de Lieven, femme de l’ambassadeur russe en Angleterre. Personne ne pourrait mieux qu’elle prodiguer à Mme Moreau les consolations qui lui étaient nécessaires et la convaincre de l’intérêt qu’elle avait à accepter les offres généreuses du Tsar. Cette conviction, Rapatel s’efforçait de l’en pénétrer en lui écrivant en même temps qu’il répondait à