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sont accrues ; jointes à celles venues de Königstein, elles menacent les communications des alliés et les routes par lesquelles doivent arriver leurs munitions ; elles empêchent Bernadotte, dont ils ignorent les mouvemens, de se réunir à eux. Dans cet étal de choses, ils jugent qu’en restant devant Dresde et en attaquant Napoléon même avec succès, les résultats seraient à peu près nuls, puisqu’il peut se retirer, protégé par les canons de la place d’où il serait impossible de le déloger. Cette considération prévaut et l’on se décide à se porter par la droite derrière les défilés qui séparent la Saxe de la Bohême avec l’intention de reprendre bientôt l’offensive et de remarcher en avant.

Grâce à ces détails, nous pouvons aisément reconstituer par la pensée le théâtre sur lequel, dans la journée du 27, Moreau trouva la mort. C’était vers midi, au gros de l’action qui s’était engagée dès le matin. La pluie tombait à torrens et de toutes parts grondait une canonnade effroyable. Coiffé d’un chapeau haut de forme, botté et éperonné, un manteau jeté sur le frac bleu dont il était ordinairement vêtu, Moreau à cheval allait en avant de la suite de l’empereur Alexandre et assez rapproché de lui pour pouvoir lui communiquer ses observations. On arriva ainsi près d’une batterie sur laquelle pleuvait la mitraille française. Il y avait péril à rester là.

— Votre Majesté s’expose trop et bien inutilement, dit Moreau au Tsar.

Alexandre donna de l’éperon pour revenir en arrière, et le général le suivit. Mais, au même moment, un boulet tombé de haut atteignit Moreau au genou droit qu’il brisa, traversa le cheval et alla fracasser la jambe gauche du cavalier. Ils s’abattirent l’un et l’autre. Sur l’ordre du Tsar, on se précipita au secours du blessé pour le dégager. Il était sans connaissance et ne reprit ses sens que pendant qu’on le transportait, sur des lances arrangées en brancard, jusqu’à une maison voisine où, après examen de la blessure, les chirurgiens durent déclarer que l’amputation de la jambe droite pouvait seule lui sauver la vie. D’après Svinine, il aurait alors demandé s’il n’était pas nécessaire aussi de lui couper l’autre et, sur la réponse qui lui fut faite, il se serait écrié :

— Eh bien, coupez-la !

Un cigare à la bouche, il subit la terrible opération qui, dût-il y survivre, le condamnerait désormais à la plus cruelle inactivité.