Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/638

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour achever de le séduire, il eut recours à sa sœur, la grande-duchesse Catherine, femme du prince d’Oldenbourg dont les États avaient été, en 1810, incorporés à la France sous le nom de département des Bouches-du-Weser. Jalouse de les recouvrer, elle avait suivi à Prague son frère et son mari. Sa jeunesse, son charme personnel, joints au prestige de sa naissance, faisaient d’elle la plus brillante parure de la cour toute militaire qui s’était formée autour des souverains. Personne ne pouvait mieux qu’elle seconder les desseins d’Alexandre sur Moreau. Elle le flatta, l’enguirlanda et ne contribua pas peu à lui voiler ce qu’offraient de cruellement gênant, pour un Français qui avait commandé les armées de la République contre les alliés, sa présence au milieu d’eux, les égards et les prévenances dont ils le comblaient.

il est d’autant plus permis de croire que tel fut l’effet de l’influence qu’elle exerça sur lui que, pendant les dix jours que passa Moreau parmi les alliés, soit à Prague, soit au quartier général d’Alexandre où il s’installa le 19 août, on ne le voit pas un seul instant embarrassé de son rôle. Bourgeoisement vêtu, n’offrant rien dans sa personne qui révèle le militaire, il est à cheval auprès du Tsar, comme un conseiller et comme un ami. Il passe des revues, assiste aux conseils de guerre et vit dans L’intimité d’Alexandre, qui, à tout instant, l’interroge, le consulte, le met aux prises avec le généralissime dont Moreau n’approuve pas toujours les ordres et les projets ; en tout cela, Moreau conserve un sang-froid, une présence d’esprit, une sérénité qui décèlent une conscience que ne troublent pas les remords.

On a raconté que le général de Jomini, né en Suisse et ensuite annexé, qui, après avoir servi dans les armées de Napoléon et en dernier lieu comme chef d’état-major du maréchal Ney, venait de se ranger parmi les alliés, aurait laissé comprendre à Moreau, en le rencontrant auprès d’eux, qu’il le désapprouvait de porter les armes contre sa patrie. Mais, outre qu’il est assez invraisemblable que Moreau, tel qu’on le connaît, se soit laissé donner une telle leçon sans en relever ce qu’elle présentait d’outrageant, cet incident n’a été raconté que par les gazettes anglaises et n’y figure que comme un racontar dépourvu de preuves. Il n’en est fait mention nulle autre part. On n’en saurait donc tenir compte et pas davantage en conclure que,