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1er août, il se mettait en route pour Estadt. Là se tenait à ses ordres un navire qui, dans la journée du 6, le déposa à Stralsund. Bernadotte, obligé de s’absenter, avait laissé des ordres pour donner un caractère triomphal à l’accueil qu’il réservait à Moreau. Dès que le bateau avait été en vue, les troupes de la garnison étaient venues former la haie entre le port et le palais du prince royal où le voyageur devait descendre. Quand il débarqua, vingt et un coups de canon et les acclamations de la foule accourue pour le voir, le saluèrent. Dans la soirée, à l’issue d’un souper offert par le gouverneur de la ville, le prince royal se présenta et, devant la foule des invités, les deux transfuges s’embrassèrent.

Il y avait alors plus de huit ans qu’ils ne s’étaient vus. Que d’événemens s’étaient accomplis depuis leur séparation et combien étranges, extraordinaires, imprévues les circonstances qui les réunissaient ! L’un, chassé de son pays par un arrêt inique, y revenait, moins pour se venger de l’artisan de son malheur que pour en délivrer la France, mais avec la certitude froidement envisagée et délibérément acceptée qu’il ne le pouvait sans l’appui de l’étranger ; l’autre, après une brillante carrière militaire, durant laquelle Napoléon l’avait comblé de titres et d’honneurs, se voyait maintenant debout sur la plus haute marche d’un trône qui lui était destiné et condamné, par les intérêts de sa nouvelle patrie, à s’allier aux ennemis de son ancien souverain, à le combattre, après avoir reçu tant de témoignages de sa confiance.

Dans les documens qui sont sous nos yeux, il n’apparait pas que Bernadotte et Moreau se soient communiqué les réflexions que devaient nécessairement leur suggérer ce passé. Mais ils eurent plusieurs conversations intimes dont il est plus facile de se figurer l’objet que de le certifier. Ce qui en transpira atteste tout au moins une confiance réciproque, une entente entière et la résolution de Moreau de jouer jusqu’au bout la partie en laquelle il s’était engagé.

Ensemble, ils examinèrent les moyens les plus sûrs de la gagner, les forces dont ils disposaient, les conséquences d’une victoire finale dont ils ne doutaient pas, bien qu’ils fussent convaincus qu’elle ne serait obtenue qu’au prix d’énormes sacrifices et qu’à la condition de ne pas commettre de ces fautes qui, à la guerre, perdent tout, et dont Napoléon était si habile à