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avoir achevé en temps utile ses préparatifs, il n’eût guère été facile de cacher sa présence à bord du Neptune sur lequel naviguaient des personnages officiels de qui il était connu. Pour ce double motif, la combinaison à laquelle avait songé Daschkoff fut abandonnée, et il se décida à solliciter de Cockburn un sauf-conduit pour un bâtiment de commerce qu’il se réservait de lui désigner ultérieurement.

Sans lui parler de Moreau, il allégua la nécessité d’envoyer à sa cour un attaché du Consulat général de New-York nommé Paul de Svinine, chargé de dépêches importantes et de communications secrètes. Cockburn s’empressa de délivrer le saufconduit. Muni de cette pièce protectrice, Daschkoff n’eut aucune peine à trouver un armateur disposé à prêter un bâtiment dont la cargaison se trouverait ainsi garantie des risques de guerre. En écrivant à Romanzoff qu’il avait assuré de la sorte le départ du général Moreau et de Svinine, il lui demandait de faire accorder à l’armateur une égale protection pour le retour du bâtiment en Amérique, d’exempter sa cargaison des droits de douane et enfin de le recommander à la libéralité de l’Empereur.

Le 20 juin, grâce à l’activité de Daschkoff, le navire Hannibal, commandé par Curtis Blackman du port de New-York, n’attendait plus que ses passagers pour mettre à la voile. À cette date, le général Willot recevait à Baltimore une lettre de Moreau, annonçant qu’il allait dans le Nord de l’Europe, pour tenter la grande entreprise « contre le gouvernement de Bonaparte. » Il lui promettait de l’instruire de tout et l’engageait à se rendre en Angleterre où leurs communications seraient plus faciles et plus promptes que s’il restait en Amérique. Le ministre de Russie à Washington lui en faciliterait les moyens. « Je pense, ajoutait-il, qu’il ne faut pas divulguer, dans les premiers momens, ce que nous nous proposons de faire. Mais il sera convenable que vous en fassiez part aux représentans des puissances qui m’ont appelé et aux ministres d’Angleterre qui désireraient en avoir connaissance[1]. »

La dernière lettre qu’écrivit Moreau avant de quitter les

  1. Quelques jours après avoir reçu cette lettre, Willot écrivait au commandant de la flotte anglaise pour le prier de le ramener en Europe. Mais il n’était pas encore parti lorsque arriva aux États-Unis la nouvelle de la mort de Moreau. Elle lui fit ajourner son départ et il ne revint en France qu’après le rétablissement des Bourbons. Louis XVIII le créa comte et lui confia le commandement militaire de la Corse. Willot mourut en 1823.