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s’y déclarait résolu à partir et y fixait même la date de son départ, il n’avait pas encore reçu de nouvelles de sa femme. Il en était réduit à espérer qu’elle avait quitté la France ; mais, ainsi qu’il le disait à Bernadotte, il ne pouvait que le supposer. En fait, il ne fut fixé que quelques jours plus tard, par l’avis qu’elle lui donnait de l’obligation qu’on lui imposait d’aller s’embarquer à La Rochelle pour retourner en Amérique. Rien dans cet avis ne trahissait son dessein de passer en Angleterre. Son mari ne suspecta pas sa sincérité. Convaincu qu’elle s’était mise en route pour revenir auprès de lui, et qu’en conséquence, elle ne courait plus aucun péril, il se rassura en ce qui la concernait.

Quant à la colère dont il fut saisi au récit des traitemens dont elle avait été l’objet de la part de la police impériale, quelque légitime et fondée qu’elle fût, elle ne pouvait plus peser sur sa détermination. Ses déclarations à Bernadotte prouvent que son parti était pris. Il serait donc inexact de prétendre que la plainte de sa femme a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Le vase avait déjà débordé. Tout au plus, cette plainte en accrut-elle le trop-plein.

La même lettre permet de rectifier ce que dit Hyde de Neuville dans ses Mémoires, en ce qui touche les dispositions du proscrit envers les Bourbons. Il y raconte qu’après le départ de Mme Moreau qui était l’amie de Mme Hyde de Neuville, ayant redoublé d’assiduité auprès du général, il fut mis au courant de ses projets et que, dans leur entretien, celui-ci s’engagea à aider au l’établissement de la monarchie. Il l’affirme non seulement dans ses Mémoires, mais aussi dans une lettre encore inédite qu’il écrivit à Louis XVIII en apprenant la mort de Moreau.

« Il n’a écouté que sa probité, mandait-il au Roi, et, sans changer d’opinion, il n’a point balancé à se réunir au parti qui seul pouvait assurer à la France une vraie liberté.

« — J’ai servi la République, me disait-il ; je lui ai toujours été fidèle. Mais, puisqu’elle est détruite et ne convient point à mon pays, je servirai avec le même dévouement le prince dont je connais les vertus et les intentions. Dites-lui que vous connaissez un bon républicain qui le servira mieux que beaucoup de royalistes. »

Dans une autre lettre, adressée le même jour à Bernadotte, et dans laquelle il l’adjure « de se couvrir de gloire » en renonçant à la couronne de Suède en faveur du fils de Gustave IV,