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conformément à ses instructions, que les allies ne faisaient pas une guerre de conquête, qu’ils voulaient uniquement délivrer l’Europe du joug qui pesait sur elle et que la France conserverait ses frontières naturelles, lui-même reparla de son projet de former un corps d’armée à l’aide des prisonniers détenus en Russie. Il consentit à rédiger un mémoire explicatif de ce plan à la réalisation duquel il se proposait de faire concourir son ancien compagnon d’armes, le maréchal Bernadotte, devenu prince royal de Suède.

Les deux interlocuteurs s’entretinrent ensuite des moyens qui s’offraient à Moreau de quitter l’Amérique. Il n’y avait pas en ce moment de bâtimens neutres allant directement au Nord de l’Europe, et le général désirait éviter, autant que possible, de passer par l’Angleterre. Cet inconvénient lui serait épargné, si le Tsar consentait à l’envoyer chercher par un navire de ses flottes, et il n’aurait pas alors à craindre d’être pris par les corsaires français qui couraient sus au pavillon britannique.

Pour finir, Daschkoff lui demanda s’il n’avait pas de conditions à poser en ce qui touchait son entrée au service de la Russie.

— Des conditions ! s’écria Moreau. Ma confiance dans Sa Majesté est trop grande pour que je me permette jamais d’en faire !

Rentré à Washington, Daschkoff écrivait, le 8 avril 1813, à Romanzoff : « J’ai trouvé ses dispositions telles que je pouvais les désirer. Il n’hésiterait pas à quitter ce pays, s’il n’attendait des nouvelles de son épouse. » A la dépêche d’où sont tirés ces détails était joint « le mémoire précieux » qu’à sa demande avait rédigé Moreau.

Convaincu que la campagne prochaine, quel que fût le point où l’armée russe cesserait de poursuivre Napoléon, ne pourrait commencer avant le mois de juillet, Moreau estimait qu’il serait imprudent de laisser aux Français un seul corps de troupes en Prusse. Si l’on n’avait pu les forcer à passer le Rhin, on devait au moins les repousser au delà de l’Elbe, pour que la totalité de l’armée prussienne pût prendre part aux prochaines opérations. Le grand avantage de forcer les débris de l’armée française a passer le Rhin serait d’avoir les ressources en hommes et en vivres dans la liesse, le Hanovre et les pays adjoints. Quoiqu’on dût supposer que l’excessive fatigue des armées russes avait