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autant : car il faut que vous sachiez que j’ai aussi trouvé à Trieste d’aimables Florentines qui parlaient fort bien et avec beaucoup d’agrément, mais malgré les ha ha, dont elles tâchaient de se corriger. Du reste, aucune de ces Florentines n’avait eu dix-neuf adorateurs, ni peut-être un seul qu’elles méritaient cependant bien, car elles étaient aimables, jolies et avaient des talens. Quanta vos jeunes adorateurs, je vous les livre ; faites-en ce qui vous plaira. Je leur saurai bon gré de tous les petits services qu’ils pourront vous rendre ; et puisque je n’ai point d’anges à vous envoyer, il est bien juste que je consente à ce que vous tiriez parti de ce qui se présente à vous.


Claude Fauriel à Mary Clarke.


Venise, dimanche 13 juin 1824.

... A Trieste, j’avais quelque plaisir à contempler à travers l’étendue de la mer le côté de l’horizon où vous étiez ; mais ici, je ne puis supporter la vue de ces gondoles et de cette lagune où nous nous sommes promenés tant de fois : je n’ai pas eu le courage de retourner à ce Lido où nous avons vu une fois la mer si terrible et si belle. Vous en souvient-il, chère douce amie ? Ces images du passé, d’un temps qui n’a été qu’un éclair, et dont je sens mieux les douceurs depuis que je les ai perdues, ces images se présentent-elles quelquefois à vous ? Ne sont-elles pour vous qu’une peine, sans aucun mélange de bonheur, sans aucune douce réminiscence ? Me pardonnez-vous tout ce que vous me dites que vous avez souffert ici et à Milan ? Hélas ! je n’ai point la conscience d’en être coupable ; mais n’importe, pardonnez-moi ; dès que vous souffrez, quelle qu’en soit la cause, il me semble que je suis coupable, et je suis malheureux comme si je l’étais.

Malgré ce que vous me dites ou me laissez entrevoir, croyez, je vous en conjure, chère amie, croyez que je rends plus de justice à votre caractère que vous ne semblez l’imaginer. C’est vous qui ne vous rendez pas justice dans certaines choses que vous me dites de vous-même. Et puis, s’il y a eu vous quelque chose d’orageux et d’inquiet, n’est-ce pas à moi à le calmer ? Que ne mérite pas un cœur tel que le vôtre ! Ah ! non, ce n’est pas le désir de vous rendre heureuse qui me manque : c’est bien plutôt la certitude de le pouvoir, de le mériter. Mais laissons cela :