Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 48.djvu/578

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais eu le courage ni même la pensée, ou de vous écrire cette lettre ou de vous demander comme hier une explication dessus, si maman dès lors ne m’avait pas objecté l’imprudence de voyager avec vous, de rester dans les mêmes villes, de revenir en même temps, et ce qu’on ne manquerait pas de dire. Toutes les fois qu’il en a été question, elle a refait la même objection. Ce n’est pas du tout parce qu’elle n’a pas envie d’y aller : au contraire, cela lui plaît beaucoup ; mais elle dit (puisqu’il faut trancher le mot) « qu’il faut que je vous épouse avant de revenir » ou que je n’y aille pas. J’étais très malheureuse après notre conversation, il y a un mois, parce que je ne voulais pas lui dire mes craintes, et je ne savais comment interpréter ce que vous m’aviez dit ; mais je lui ai dit que cela ferait mourir Auguste de chagrin, parce qu’elle m’avait d’abord dit que cela devait être avant de partir. Cette raison la satisfit ; mais à présent, c’est avant de revenir qu’elle le veut, ou elle n’y veut pas aller[1]. Je crois bien qu’avec des larmes, je lui ferais faire tout ce que je veux ; mais, mon cher ange, y a-t-il le sens commun à vous et à moi, de courir le risque de perdre ma réputation pour un scrupule de délicatesse ? Le dois-je à moi-même et à ma famille ? Vous n’avez pas d’idée en France du tort qu’un souffle sur moi ferait à ma famille en Angleterre, à ma nièce qui entre dans la vie, du chagrin que cela ferait à ma sœur. Elle aurait beau être sûre et tout le monde aurait beau être sûr qu’il n’y a pas un mot de vrai, et malheureusement ces médisances-là se savent toujours où on ne voudrait pas. J’étais prête à tout faire pour ne pas vous quitter. Cependant, j’étais prête aussi à me résigner à aller en Angleterre ; mais à présent que je sais votre raison, je la trouve absurde. Nous vivons l’un et l’autre. Ce que j’ai me sera plus que suffisant : donc, vous ne serez jamais qu’où vous en seriez, si je n’existais pas.

Vous dites que vous ne voulez pas jusqu’à ce que, etc. Mais si nous sommes séparés, vous serez triste, flasque, et loin d’avancer notre réunion, une séparation la retardera. Et puis, ne dirait-on pas, à vous entendre, que cette réunion vous empêchera de réussir, lorsque au contraire vous avez besoin de la tranquillité la plus grande pour cela. Et puis, quand même vous

  1. Cette phrase confuse veut dire que Mme Clarke exigeait, pour autoriser le voyage projeté, que Fauriel épousât sa fille avant le départ, ou, en tout cas, avant le retour.