à personne, puisque vous n’êtes pas près de moi, pour m entendre et pour avoir pitié de moi. Tout ce que je puis vous dire, c’est qu’en perdant cette adorable amie, j’ai perdu l’unique personne au monde à qui j’eusse pu parler de vous, et qui eût pu me comprendre. C’est que le plus doux rêve de ma vie, qui était celui de mêler nos vies à tous les trois ou tous les quatre, a duré bien peu : ainsi, ce n’est pas moi seul, qui fais une perte irréparable ; il me semble que c’est nous, et c’est bien nous, si votre cœur comprend le mien et s’en rapporte pleinement à lui. Et s’il y a jamais eu un moment dans ma vie, où mon cœur en mérite un comme le vôtre, par tout ce qu’il sent, par tout ce qu’il souffre, c’est assurément ce moment-ci. Ne vous inquiétez[1], du reste, pas trop de moi, ma chère consolation et mon cher espoir ; je suis physiquement aussi bien que je puis l’être ; et quant au reste, j’ai du courage et je soignerai ce que vous aimez. Je ne puis écrire bien longuement aujourd’hui, peut-être ne pourrai-je vous écrire de nouveau que dans quelques jours ; dans tous les cas, je vous écrirai le plus tôt possible. — Je ne serai pas ici au moment où je pourrais y recevoir une lettre de vous, je ne sais pas même où je serai. Mais écrivez toujours ici, rue de Seine, no 68 ; quelque part que je sois, vos lettres me parviendront, me consoleront et me trouveront plein de vous ; plus digne de vous peut-être ; car la douleur, je le sens, est un feu qui épure les âmes. Adieu, ma vie.
Septembre 1822.
Mon pauvre cher,
Si j’étais indépendante, je volerais à vous tout de suite, car que peuvent les paroles et les paroles écrites ? Quelques caresses vous feraient plus de bien ou des larmes versées avec vous, et pourtant il faut que je vous aime beaucoup, beaucoup, pour
- ↑ Il ne faut pas trop s’émouvoir des lamentations de Fauriel. Comme on a pu le voir, il avait pris ses précautions : miss Clarke tenait déjà la place de la morte : « Fauriel, dit M. Guillois, qui avait dû à Sophie le bonheur et l’aisance de sa vie, fut le moins affligé de tous ceux qui l’avaient connue (p. 233). » Dans d’autres circonstances, la marquise Arconati-Trotti disait de lui : « Cette attention à éviter de se faire mal, à éloigner la douleur à tout prix est révoltante. « (Fontisconasciule o poco note per la biografia di A. Manzoni, par G. Gallavresi, broch in-8o. Milan, 1908, p. 23-24.)