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polonaise. Et, effrayé par les cris de triomphe que pousseraient les « radicaux » polonais si le projet était repoussé, il se résigna à conclure à l’acceptation, mélancoliquement. La Commission de colonisation a acheté 323 000 hectares, et le danger subsiste. Est-ce que 70 000 hectares de plus avanceront beaucoup les progrès de la germanisation ? S’il ne fallait que cela pour sauver la patrie, quel grand seigneur ne donnerait pas une partie de ses terres ?

Le 16 janvier, les conservateurs et les nationaux libéraux de la Chambre des députés votèrent la loi par 198 voix contre 119. Le centre et le parti freisinnig formaient la minorité. Les conservateurs errèrent longtemps « à la frontière du droit, » cherchant un compromis qui leur permît de se soumettre aux exigences du gouvernement, sans renier leur passé ni grever d’une hypothèque funeste leurs conceptions sociales qui émanent de la terre, de leurs terres ; elles ne représentent pas seulement une valeur économique, un privilège matériel, mais elles portent une profonde signification morale. Au dehors, ils organisèrent une protestation contre le projet d’expropriation. A l’heure décisive du vote, devant l’urne d’où s’échappe un pouvoir subtil qui transforme si souvent les bonnes intentions en actes subversifs, ils subordonnèrent les principes à la nécessité, « le cœur lourd, la mort dans l’âme[1]. »

Le parti national libéral enveloppa dans un éloge de la Commission de colonisation la raison parlementaire : « Nous espérons, déclara un de ses membres les plus autorisés, que la majorité ne laissera pas le gouvernement en plan dans cette question[2]. » La question de Cabinet était posée, disait-on ; les conservateurs avaient un chancelier agrarien et voulaient le garder ; les nationaux libéraux redoutaient par-dessus tout que le politique qui avait fait « le bloc » ne donnât sa démission.

Tous les efforts des partisans de la loi, toutes les espérances des adversaires se reportèrent sur la Chambre des seigneurs. Elle comprend, parmi ses membres héréditaires, les princes majeurs de la maison royale et 98 chefs de famille de la haute noblesse. Les 220 membres environ nommés à vie par le Roi représentent les municipalités des grandes villes, les universités,

  1. Chambre des députés, Sten. Ber., 29 novembre 1907, p. 51 (baron de Zedlitz).
  2. Id., ibid., 29 novembre 1907, p. 73 (Dr Friedberg).