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naturelle par le spectacle d’héroïsme que donnait un petit peuple destiné à succomber en fin de compte sous des forces supérieures. Mais notre gouvernement ne songeait, ni à prendre parti contre l’Angleterre, ni à lui susciter des embarras nouveaux : il n’a même pas profité des circonstances, comme il l’aurait pu sans doute, pour résoudre à son profit quelques questions pendantes, ou du moins pour en avancer la solution. Mais comment aurait-il pu ne pas entendre les suggestions sans cesse renouvelées, les invites très insistantes et parfois très bruyantes qui lui venaient, sinon du gouvernement allemand, au moins de l’empereur Guillaume ? L’Empereur est un homme toujours sincère, mais mobile, qui obéit à des impulsions successives, mais contraires. Les explications qu’il vient de donner à l’Angleterre nous font croire que nous nous sommes trompés sur ses intentions pendant la guerre des Boers ; mais, si nous l’avons fait, nous n’avons pas été alors sans excuses ; toutes les apparences nous encourageaient dans notre erreur. On a reproché plus tard à M. Delcassé de n’avoir pas suffisamment causé avec le gouvernement allemand, et c’est un reproche que nous lui avons adressé nous-même : les révélations que vient de faire l’Empereur diminuent un peu sa responsabilité dans la réserve excessive qu’il a observée par la suite. À un moment en effet, au cours de la guerre sud-africaine, il n’a pas cru pouvoir refuser à la Russie de s’associer à une démarche qu’elle se proposait de faire auprès du gouvernement impérial, non pas pour humilier l’Angleterre qui venait enfin de remporter des victoires, mais pour mettre fin à une effusion de sang désormais inutile aux vainqueurs et aux vaincus. Il y avait là pour le gouvernement français une occasion de se rendre compte des véritables dispositions de l’empereur Guillaume et, si on nous permet le mot, de les tirer au clair. Qu’y avait-il derrière les paroles impériales, si vives, si impétueuses, si engageantes ? Il était, en somme, intéressant de le savoir : la démarche que la Russie proposait de faire et qu’elle a faite seule, quoiqu’elle ait été autorisée à y mêler notre nom, devait servir à cet objet. On connaît la réponse qu’elle a reçue. Le gouvernement allemand n’a nullement refusé de prendre part à une démarche pacifique auprès de l’Angleterre, mais il y a mis une condition, à savoir que les trois puissances qui la feraient se garantiraient mutuellement leur statu quo territorial. Devant cette exigence, la Russie s’est arrêtée toute seule, sans que nous ayons eu à intervenir, et les choses en sont restées là. Voilà ce que nous savions : ce que nous ne savions pas, c’est que l’empereur Guillaume s’était