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Casablanca ont-ils opposé à nos soldats une résistance qui a fait naître entre eux une sorte de corps à corps ? C’est qu’ils avaient quelque chose à cacher, et on n’a pas tardé à savoir ce que c’était. Nous avons interrogé les six déserteurs après les avoir arrêtés, et quelle n’a pas été notre surprise de constater aussitôt qu’il y avait parmi eux un Autrichien, un Suisse et un Polonais ! Du coup, le cas, du consulat allemand, qui n’était déjà pas bon, devenait franchement mauvais. Et ce n’est pas tout : de mauvais qu’il était, le cas est même devenu un peu ridicule lorsqu’on s’est aperçu que, sur les trois déserteurs restans, il y avait un Français. C’est un Strasbourgeois récemment naturalisé : nous n’avons pas à nous enorgueillir de cette recrue, et l’Allemagne n’a pas à en regretter la perte. Quoi qu’il en soit, sur les six déserteurs de Casablanca, il n’y avait que deux Allemands. Le consulat le savait-il ? En avait-il un sentiment plus ou moins vague ? Craignait-il qu’au déballage on ne s’aperçût de sa prodigieuse légèreté ? Cela expliquerait l’effort qu’ont fait ses agens, dans la rade de Casablanca, pour soustraire, même par la force, les six déserteurs à la reprise légitime que nous exercions sur eux. Voilà tout l’incident. Le gouvernement allemand n’avait pas lieu de s’en vanter. Aussi ne l’a-t-il pas fait et, dès que les faits ont commencé à s’éclaircir, il n’a pas hésité à reconnaître que son consul avait excédé ses pouvoirs. Mais n’importe, a-t-il ajouté ; le consul a été empêché dans l’exercice de ses fonctions ; le mot même d’honneur national, — mot toujours bien dangereux ! — a été prononcé, et le gouvernement impérial a émis la prétention que, de ce chef, une satisfaction lui était due.

Pendant quelque temps l’affaire a traîné ; les journaux n’en parlaient plus, laissant à la diplomatie le soin d’en débrouiller l’écheveau. Un jour, le gouvernement impérial, très heureusement inspiré, nous a proposé de soumettre l’affaire à la Cour arbitrale de La Haye. S’il est des cas, en effet, qui relèvent logiquement de cette Cour, l’incident de Casablanca en est un, car il ne met en cause, ni un intérêt vital, ni l’honneur bien compris d’aucune des parties. Le gouvernement de la République en a jugé ainsi. Il n’a pas attendu vingt-quatre heures pour adhérer à la suggestion allemande ; il a fait savoir à Berlin qu’il acceptait l’arbitrage de La Haye, après quoi il a naturellement considéré l’incident comme vidé. Il n’en était rien. Le gouvernement impérial, s’obstinant sur la distinction que nous avons indiquée plus haut, voulait bien attribuer à la Cour de La Haye la connaissance et la solution des questions de droit que l’incident soulevait ; mais, disait-il, il y a aussi une question de fait ;